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Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth

Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de NazarethParis 2019, Éditions du Seuil, — EAN 9782021280340 — 416 pages – € 23, 00 ou CHF 39, 10.

Il n’est guère besoin de présenter l’auteur, Professeur honoraire de Nouveau Testament à la Faculté de Théologie de Lausanne. Il est connu par ses nombreux travaux sur le christianisme primitif et notamment par un magistral commentaire en deux volumes sur les Actes des Apôtres.

Le livre de Daniel Marguerat se situe globalement dans la même perspective historique que celui de Jens Schrötter présenté ci-dessus. Je dirais aussi qu’il m’a paru plus pédagogique, plus accessible et plus complet que celui de son confrère allemand qui n’est pourtant pas destiné à un public d’érudits : les tenants et aboutissants des diverses problématiques sont bien expliqués.

Pour Marguerat, il est indéniable que Jésus a existé, la question qui se pose est de savoir « Quel Jésus a existé ? ». Après avoir passé en revue les diverses sources littéraires et archéologiques dont nous disposons pour dresser un portrait de Jésus, il aborde les diverses étapes de sa vie. Pour l’enfance (chapitre 2), il reprend l’hypothèse du Bruce Chilton qui voit en Jésus un mamzer, c’est-à-dire un bâtard né de père inconnu. Cela donnerait une explication psychologique de l’intérêt de Jésus pour les marginaux. Au chapitre 3, il consacre un long développement à traiter de la relation entre Jean-Baptiste et son disciple Jésus dont les évangiles auraient arrangé la présentation pour que Jésus n’apparaisse pas trop comme inférieur à son maître.

La deuxième partie (Chapitres 3-9) est consacrée au ministère de Jésus. Il y présente avec clarté et beaucoup de détails Jésus comme thaumaturge et exorciste. Ces miracles témoignent de la présence du Règne de Dieu que Jésus explique par des paraboles. Par lui le monde futur est déjà présent. Marguerat parle aussi de la « pureté offensive » (Cf. la recension ci-dessus sur le livre de Schrötter). Il insiste sur la miséricorde de Dieu dont Jésus est le reflet et qui prime sur la Loi avec ses règles de pureté. Il consacre aussi tout un chapitre aux différents cercles concentriques formés par ses disciples, allant des douze aux sympathisants lointains ; puis il aborde la montée de Jésus à Jérusalem avec les raisons de sa condamnation : en chassant les vendeurs du temple, Jésus a franchi une ligne rouge qui a retourné le peuple contre lui. Les raisons de sa condamnation par le Sanhédrin ne sont pas claires, mais pour Marguerat le grand-prêtre a habilement manœuvré de telle sorte qu’il puisse présenter à Pilate un homme reconnu coupable de prétentions messianiques susceptibles d’entraîner une condamnation à mort. Au sujet de la résurrection, il insiste sur le fait que Jésus a pris l’initiative de se faire voir par les témoins. Le terme utilisé se trouve dans l’Ancien Testament pour décrire une apparition spéciale de Dieu ou d’un ange, comme à Abraham (Gn 12, 7), à Moïse (Ex 3, 2), à Gédéon (Ju 6, 12). La résurrection ne peut être décrite. Toutefois Pâques fonctionne comme un coefficient qui donne sa pleine valeur à la vie et à la mort de Jésus : il n’est pas un homme comme les autres.

La dernière partie, et ce n’est pas le moindre intérêt de ce livre, traite de Jésus après Jésus. Il consacre quelques chapitres intéressants à décrire comment Jésus a été reçu et compris dans la littérature apocryphe, le Judaïsme et l’Islam.

Le livre de Daniel Marguerat est complet et bien informé ; il se lit facilement. Il a aussi le mérite d’intégrer les données de la littérature rabbinique, ce qui me paraît incontournable dans une telle entreprise.

Alain Décoppet

Amélie Nothomb, Soif


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Amélie Nothomb, Soif , Roman, Paris 2019, Éditions Albin Michel — ISNB 9782226443885 — 162 pages — € 17, 90.

Soif: un Jésus sans passion

A l’approche d’un roman, ma première question n’est évidemment pas celle de son orthodoxie. On ne demande pas à la littérature d’être docile. Au contraire, mon expérience de lecteur ne cesse de me conduire à une forme d’indocilité, et parmi les livres dans lesquels je me suis immergé, beaucoup m’ont invité dans leur présence amicale à faire un pas de côté, voire de travers, vers des rencontres, des approches et des paysages singuliers. Mais quand le sujet annoncé est Jésus, on ne peut faire semblant de partir de rien. Ni en tant que romancière, ni en tant que lecteur. Ainsi, à l’annonce de la parution de Soif, mon cœur a bondi, mes oreilles se sont dressées, et la réservation vite enregistrée auprès de la médiathèque favorite. Mais la déception est arrivée tout aussi vite à la lecture de ce dernier opus signé Amélie Nothomb. Dans un récit manquant cruellement d’intensité, au rythme souvent brisé, le lecteur trouve difficilement ses marques. Quant au sujet « Jésus », il est traité avec tant d’insouciance qu’il en devient par moment transparent. Autant dire qu’on trouvera sans doute dans Soif « à boire et à manger ».

« Mon Jésus »

Parce qu’elle en a porté le projet secrètement pendant des années, Amélie Nothomb a voulu raconter «son» Jésus, comme elle l’a confié au journal Réforme et à d’autres 1 . On ne s’attendait de toute façon pas à un ouvrage au ton exégétique prononcé : c’est la liberté de la littérature de ne pas céder a priori aux exigences de la recherche et de la précision historique. Dans Etre Chrétien, Hans Küng interroge la figure de Jésus dans la littérature. Il souligne ainsi l’utilité de celle-ci pour aider à comprendre l’évènement-Jésus. La littérature, écrit-il, « couvre les domaines de la langue et des images, qui traduisent, transposent et font comprendre l’évènement Jésus de manière neuve. Elle ouvre de nouvelles possibilités pour confronter et harmoniser nos expériences humaines avec le message de Jésus-Christ. Elle permet ce « regard neuf » qui découvre l’étrange dans le connu, et l’inexplicable dans l’habituel » 2 .

Recourant à la langue, qu’elle manie excellemment, et aux images, Amélie Nothomb assume pleinement la part de subjectivité de l’évènement-Jésus, qu’elle a voulu concentrer dans les jours de la Passion. L’auteure ne s’embarrasse pas de questions textuelles, c’est le moins qu’on puisse dire. Son « Jésus » prend les traits de l’amoureux ébloui de Marie-Madeleine, comme l’avaient écrit d’autres avant elle, . Pour autant nous ne sommes pas dans les arcanes complotistes du Da Vinci code, mais bien plutôt dans une célébration sensuelle de l’incarnation. Parti pris assumé, le rapport aux textes y est présent, mais traité ouvertement avec une distance toute subjective, bien plus que critique.

Pourquoi d’ailleurs se fier aux évangiles, puisque les évangélistes ne connaissaient pas Jésus ? « Je ne leur en veux pas, dit Jésus dans le roman, mais rien n’est plus irritant que ces gens qui, sous prétexte qu’ils nous aiment, prétendent nous connaître par cœur » 3 . Le seul, aux yeux de ce Jésus, ou mieux vaudrait dire à ceux d’Amélie Nothomb, ayant manifesté un talent d’écrivain est Jean, par conséquent « sa parole est la moins fiable » 4 . On appréciera le constat de dérision sur le 4ème évangile, et sur la littérature en un seul et même coup !

Soif n’est pas un roman sur Jésus, c’est un roman dans Jésus. Si l’on y suit les étapes de la Passion, nous ne la vivons que de l’intérieur. A aucun moment on ne perçoit l’intention de rendre compte autrement que par la voix de Jésus de ce qui se déroule. Un Jésus incrédule, moins dans le doute que dans le malentendu.

Le ton général est donné dès les premières pages qui font débarquer au procès du Christ les mariés de Cana et autres miraculés, convoqués par Pilate pour déverser leur amertume quant aux inconséquences des actes de l’accusé : des mariés critiqués pour leur manque de considération dans leur service du vin, des miraculés abandonnés à leur vie nouvelle. L’épisode fait sourire, et ne manque pas de justesse : il y en a eu, c’est certain, des déçus dans la foule qui suivait Jésus : ceux qui n’ont pas été au bénéfice d’une parole guérissante, ou des disciples qui n’ont pas tout compris tout de suite. Les évangiles comptent – et content – des miracles : on y lit aussi des appels à la prudence quant à leur sens et à leur portée.

Faire parler Jésus ?

Ce long monologue intérieur que constitue le roman pose une question importante, dûe au sujet qu’est le « cas Jésus » : dans quelle mesure, et selon quels critères peut-on faire parler Jésus ? Quelle place faire à l’imagination et à l’invention, et quelle place à l’interprétation et à la compréhension ? Le plus souvent, les écrivains l’ont approché avec une certaine distance, se sont attachés au cadre, aux témoignages de tiers 5 . Sous couvert d’une grande liberté, le choix d’Amélie Nothomb, à la suite de José Saramago 6 , s’avère être un redoutable étau enserrant le lecteur entre l’inévitable matière biblique dont on ne peut détacher la figure de Jésus, et la tension narrative sous-tendant le monologue. Monos-logos: Jésus est un homme seul devant un drame qui le dépasse, seul avec son corps souffrant, seul avec une destinée à laquelle il ne croit pas. Une solitude semblable à celle du serviteur souffrant dans les poèmes d’Esaïe, mais l’esprit de sacrifice en moins.

Il y a quand même du divin chez cet homme qui se prend à parler de ce qui viendra après lui, non sans un ton bon enfant. Jésus, plus ou moins amusé, tient des chroniques de sa postérité. Etant omniscient, il ne peut être préservé du devenir de sa personne dans l’esprit des humains ! Sur le plan littéraire, la ficelle n’est pas du meilleur effet, puisqu’elle entrave le lecteur dans un chevauchement des temps à travers des citations plus ou moins modernes. Cela n’apporte rien d’important à mon sens, et le fil du récit en est épisodiquement et inutilement brisé. Elles ne servent pas l’intention première du monologue. Celui-ci, il est vrai, finit par nous convaincre que dans Soif, c’est moins Jésus qui parle à travers Nothomb, que Nothomb qui parle à travers Jésus. Après tout, ce risque guette aussi tout croyant sincère. Mieux vaut en être averti.

Passion en contresens

Toujours est-il que Jésus n’a rien compris à son histoire, et s’est laissé totalement dépasser par la situation. Le problème n’est pas un malentendu débouchant sur quelque nœud tragique.

C’est plus grave : il s’agit d’un contre-sens, et Jésus a raison de s’en vouloir terriblement, au point de déclarer : « Je ne repense jamais à la crucifixion, ce n’était pas moi » 7 ou encore : « Je suis responsable du plus grand contresens de l’histoire, et du plus délétère » 8 .

Vu de ce monologue, la croix ne peut pas être un sujet théologique. Il n’y était pas, il ne l’a pas voulue, il ne comprend pas ce qu’on en a fait ensuite. On aurait tout de suite envie de rapprocher ce vécu des termes utilisés par Paul pour convaincre les Corinthiens du fondement de sa prédication 9 . La croix ? Un scandale, et une folie ! Mais il y a un fossé entre le langage théologique de l’apôtre Paul essayant d’expliquer le sens de la croix, et ce Jésus romancé annonçant « le plus grand contresens de l’histoire ». Les adeptes de thèmes et de versions connaissent bien la différence entre le faux-sens et le contre-sens ! Ni scandale, ni folie, tout simplement erreur. Toute théologie prétendant s’appuyer, d’une manière ou d’une autre sur la croix est délégitimée par A. Nothomb.

Ce choix assumé nous apparaît au fil des pages du roman comme un divorce entre Jésus et son père. Car dans Soif, Jésus parle de son père. Leur relation est teintée de la plus grande incompréhension, et l’incarnation est la ligne de fracture qui fait exploser la relation. Certes le père est l’amour, mais puisqu’il n’a pas de corps, il ne peut pas aimer. Jésus, lui, est incarné, mais ce n’est pas Dieu incarné, « cela sonne bancal » 10 . Aussi il ne peut y avoir de pardon de Dieu à la croix envers les hommes. Le seul pardon possible est celui que Jésus s’adresse à lui- même pour s’être laissé entraîner dans cette erreur, dans ce qui est définitivement un malentendu, malgré toutes les interprétations qui ont pu être données de la croix. Jésus est seul, l’homme est seul avec lui-même, si bien que la foi ne peut être qu’intransitive : c’est sur ces mots, à peu de choses près, que le roman s’achève.

Jésus, chantre de l’incarnation

En réalité, on passera complètement à côté de Soif en le considérant comme un roman sur la Passion. Bien plus que la Passion, son véritable sujet est à chercher dans l’incarnation. La discipline de soif mise en œuvre par le Jésus de Nothomb prend ainsi les traits d’un manifeste hédoniste chantant la louange des êtres incarnés. Vrai sujet, et sans doute aspect le plus réussi de l’ouvrage.

« Pour éprouver la soif, il faut être vivant » : tel est le leitmotiv de l’homme promis à la souffrance qui refusera d’étancher sa soif avant de quitter sa cellule, pour rester éveillé à une autre sensation que la douleur de la torture. Jusqu’au moment de dire sur le bois : « J’ai soif », seule parole véridique aux yeux de l’auteure parmi ces sept que la tradition a retenues comme paroles du Christ en croix.

L’incarnation fait littéralement descendre Dieu du ciel sur la terre. Quant au geste de boire devient une parabole de cette incarnation : « L’amour que vous éprouvez à cet instant précis pour la gorgée d’eau, c’est Dieu. Je suis celui qui arrive à éprouver cet amour pour tout ce qui existe. C’est cela être le Christ » 11 . Aucun hasard donc dans le fait que le Christ se soit incarné en Palestine, cette terre « de haute soif ».

La soif n’est-elle pas une manière de parler des attentes des humains envers Dieu, un mot d’une tonalité très spirituelle ? Le lecteur un peu familier de la Bible se trouve renvoyé à des textes qui l’évoquent, comme le Psaume 42 : « J‘ai soif de Dieu, le Dieu vivant », ou encore aux Béatitudes: «Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés» (Matthieu 5, 6). Versets précieux s’il en est, car il n’est rien de pire que la disparition de ce manque. Ne plus avoir soif, c’est mourir. D’ailleurs, Jésus n’a jamais pu dire (contresens, là encore) : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif » (Jean 4, 14), bien au contraire. Celui qui croit en ce Jésus incarné ne peut qu’être conforté dans sa soif.

Cette méditation sur la soif comme modalité de l’être est le cœur battant du roman. Les mots de l’auteure ne peuvent que résonner dans les cœurs ouverts à la vie de l’Esprit. Rien n’est pire, sans doute, dans une vie avec Dieu, que de s’imaginer comblé, rassasié, arrivé, alors qu’une foi vivante réveille toujours en nous une nouvelle soif, un nouveau désir.

L’incarnation dont la soif devient parabole constitue la principale proclamation du roman, car il y a bien proclamation, et la valeur annoncée fait figure d’absolu, avec des accents nietzschéens : « le degré d’incarnation d’un être : sa plus haute valeur » 12 , « un être incarné ne commettra jamais d’action abominable » 13 . Alors certes la dogmatique chrétienne semble bien loin, mais la fiction n’est pas dénuée de dogme pour autant. Dans un récit, sous forme de monologue, qui déçoit en de nombreux endroits par son manque d’intensité, les passages sur le corps sont les plus captivants. Les chutes sur le chemin du Golgotha, le poids de la croix, la transpiration, les jeux de regard avec Simon et Véronique : tous les sens sont requis pour approcher l’évènement, et suivre cette agonie corporelle. Tout comme les miracles étaient venus, eux aussi, du corps, de ce « pouvoir de l’écorce » qui se trouve en chacun, juste sous la peau qui le dispense. Tout cela trouve son sens dans la belle formule qu’Amélie Nothomb donne de l’amour : « L’amour est une histoire, et il faut un corps pour la raconter ».

Julien N. Petit

  1. Réforme n°3815.
  2. H. Küng, Etre chrétien , Paris, Seuil, 1978, p. 156.
  3. p. 85.
  4. p. 51.
  5. Jour de feu de René Barjavel resitue la trame évangélique dans le village de Collioure, ouLe Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis qui, lui, le contextualise en Anatolie. D’autres auteurs partent du point de vue de figures des évangiles, commeJudas de Lanza de Vasto ou l’Evangile selon Pilate de Eric-Emmanuel Schmitt.
  6. L’Evangile selon Jésus-Christ , 1991.
  7. p. 146.
  8. p. 106.
  9. 1 Corinthiens 1, 18 et suivants.
  10. p. 150.
  11. p. 53.
  12. p. 43.
  13. p. 44.

Jens Schröter, Jésus de Nazareth

Jens Schröter, Jésus de Nazareth

à la recherche de l’homme de Galilée, Genève 2018, Éditions Labor et Fides, Coll. Le monde de la Bible N o 74 — ISBN 9782830916737 — 320 pages — CHF 29, 00 ou € 24, 00.

Jens Schröter est professeur de Nouveau Testament et de littérature chrétienne apocryphe à la Faculté de théologie de l’Université Humboldt de Berlin. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes actuels sur le Jésus historique.

Sans cesse de nouveaux ouvrages sont publiés sur Jésus de Nazareth et sa place dans l’histoire ; celui-ci n’est pourtant pas superflu, car il permet de faire la synthèse sur l’état actuel de la question, sans cesse en évolution. La sixième édition allemande (de 2017), dont la traduction française est ici présentée, a été considérablement remaniée pour tenir compte des découvertes récentes, notamment en Galilée, qui sont un apport important pour comprendre le milieu dans lequel le Jésus historique a évolué. Dans les pages 67-119, l’auteur donne quantité d’informations éclairantes sur la situation sociale et économique de la Galilée, les synagogues dont l’existence est maintenant attestée archéologiquement au 1 er siècle de notre ère, Magdala, Capernaüm, Séphoris, le Lac de Tibériade, etc. À la page 90, il note que les activités de Jésus dans la plaine côtière ou en Décapole sont tout à fait plausibles dans les années 20, mais qu’elles auraient été impossibles au temps de la rédaction des Évangiles.

L’ouvrage se divise en trois grandes parties :

A. Introduction(pp. 19-65)

L’auteur fait l’historique de la recherche qui, depuis le 18e s. fait la distinction entre le Jésus de la foi et celui de l’histoire ; mais il prend soin de préciser que le portrait du Jésus historique est dépendant des limites inhérentes à tout historien. Pour lui, la foi, c’est précisément assumer cette subjectivité. Ensuite, il dresse une nomenclature des vestiges archéologiques et des documents écrits qui permettent de reconstituer qui a été Jésus.

B. Portrait de Jésus(67-270)

J’ai trouvé intéressante la manière dont Schrötter réincarne Jésus comme homme juif, en Galilée et Judée, dans les années 20-30 de notre ère. Mais pour lui, ce que les Évangiles en rapportent est vu à la lumière de la prédication de la mort et de la résurrection du Christ : ainsi, la naissance virginale de Jésus à Bethléhem, l’étoile des mages, l’exaltation comme Fils de Dieu, etc., sont vues comme des récits légendaires destinés à témoigner de la messianité de Jésus (p. 73). Pour ce qui est des miracles, si les guérisons et les exorcismes ne lui posent pas de problèmes fondamentaux (il cite des faits semblables attestés ailleurs par la littérature antique), il considère en revanche comme inexploitables du point de vue historique les récits de marche sur les eaux ou de multiplication de nourriture (p. 139). L’auteur se trouve là face aux limites de la critique historique marquée par le positivisme pour qui l’univers est clôt et finalement déterminé, où la possibilité du surgissement de la vie, d’une création, n’a pas sa place. Cela dit Schrötter donne une vision très stimulante du message de Jésus, même s’il le reconstitue essentiellement à partir de la source Q – à mon sens très hypothétique. Le centre du message de Jésus est l’annonce de la venue du Règne de Dieu auquel sa personne est liée. Ses miracles et sa prédication en sont le témoignage. L’apport de Schrötter est de m’avoir fait découvrir (p. 157) le concept de « pureté offensive », forgé par Klaus Berger, et lié à la venue du Règne de Dieu ; avant, la Loi mosaïque imposait toutes sortes de prescriptions pour éviter de se souiller. Pour Jésus (Cf. Mc 7 et parallèles), la puissance de pureté du Règne est telle qu’elle annihile l’impureté : les lépreux sont touchés et purifiés, les esprits impurs, chassés. Induite par l’amour, cette attitude active face à l’impureté, permettra à Jésus d’aller vers les parias de son peuple (Lc 15, 1-2) et les païens ; c’est dans cette même logique que, par la suite, l’Église primitive ira évangéliser les non-Juifs. C’est sur cette question de pureté que les Pharisiens s’opposeront de plus en plus violemment à Jésus, jusqu’à obtenir sa mise à mort. Quant à la résurrection de Jésus, si le fait lui-même n’entre pas dans le champ d’observation des historiens, plusieurs indices militent en sa faveur, notamment le fait que ce soient des femmes qui ont découvert le tombeau vide ; on n’aurait jamais eu l’idée d’inventer cela à l’époque.

Effets (pp. 271-301)

Cette partie parle des répercussions de la vie de Jésus jusqu’à notre époque (influence de l’éthique du Sermon sur la montagne, fêtes chrétienne, arts, etc.).

Même si Schrötter fait une distinction claire entre le Jésus de l’histoire et celui de la foi, il défend une continuité entre eux. À chacun de se servir de ce rapport de continuité pour éclairer sa vie d’aujourd’hui.

Alain Décoppet