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Stéphane Rhéaume, Le Royaume de Dieu, de Jésus à l’Église


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RheaumeStéphane Rhéaume, Le Royaume de Dieu, de Jésus à l’Église entre célébration et attente, Coll. « Théologie biblique », Charols, Éditions Excelsis 2017 – ISBN 9782755003208 –

168 pages – € 12,– ou CHF 14,–.


Stéphane Rhéaume
est pasteur principal de l’Église chrétienne évangélique de Saint-Eustache, au Québec, chargé de cours à l’École de théologie évangélique du Québec et professeur associé à la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l’Université Laval.

En préambule, précisons que ce livre fait suite à Jésus et le Royaume de Dieu, une perspective biblique et théologique (452 pages), publié également chez Excelsis en 2016 par le même auteur. Celui-ci y donnait une présentation complète et de bonne facture de cette notion dans une perspective évangélique. Le fait mérite d’être souligné, car à part Christian Grappe
[1], d’ailleurs souvent suivi par Rhéaume, il n’y a en français que peu d’ouvrages récents d’envergure sur le sujet.

Dans ce nouvel ouvrage, Rhéaume répond au problème suivant : dans leur présentation de Jésus, les

Évangiles parlent souvent du Royaume de Dieu (ou des Cieux). En revanche les Épîtres n’en parlent que très peu. Qu’est-ce que cela signifie ? La notion de Royaume de Dieu serait-elle secondaire ? Non, répond l’auteur ; tout son exposé vise à démontrer que si le Royaume de Dieu n’est pas souvent nommé explicitement, il demeure en arrière-plan de toute la théologie du Nouveau Testament.

Il commence par passer en revue les quelques textes des épîtres où le Royaume est explicitement mentionné, pour en arriver à la thèse principale de son livre : l’Église apostolique a remplacé le Royaume par la Personne qui le révèle et l’établit, Jésus ; entrer dans la vie, c’est entrer dans le Royaume (p. 35). Justification, vie éternelle (p. 36), Seigneurie sont des variations sur la manière paulinienne de parler du Royaume. À la p. 37, Rhéaume écrit, citant Mortimer Arias : « La seigneurie de Christ, dans la vie du croyant, de l’Église et dans le monde, est devenue, en fait, l’équivalent du Royaume de Dieu ». De son côté, Jean parle de lumière et de vie, mais ce sont d’autres manières d’exprimer la réalité du Royaume.
La jeune Église a dû adapter la présentation de son message au contexte gréco-romain pour qui la notion « juive » de Royaume était difficilement accessible. Pour les premiers chrétiens cette notion n’est donc pas abandonnée, mais réactualisée, à la lumière de la résurrection qui introduit un paradigme nouveau dans la monde.
Dès la p. 45, il décrit en quatre points comment l’Église primitive a réalisé cette adaptation :

Les apôtres annoncent Jésus comme celui par qui advient le Royaume, mais c’est bien le même royaume que Jésus a déjà proclamé.

L’Église est le peuple du Royaume plus étendu que l’ancien Israël ; la citoyenneté céleste transcende celle des humains : il n’y a plus ni juifs ni grecs, ni esclaves ni hommes libres, ni hommes ni femmes, ni noirs, ni blancs, etc.

L’Esprit donné à la Pentecôte fait expérimenter la vie du Royaume : par lui, le Royaume futur est déjà présent.

Ce que nous goûtons du Royaume par l’Esprit, lors de la cène aussi, nous fait soupirer après la venue du Royaume dans sa pleine manifestation. L’attente du Royaume est liée à l’attente de Jésus qui, lors du jugement, enlèvera toute forme de mal et cause le malheur.
Le chapitre 3, dès la p. 77, pose la question de savoir si Paul est le fondateur du Christianisme. Rhéaume répond par la négative : Paul a adapté pour le monde gréco-romain le message de Jésus destiné au départ à un contexte juif. C’est Jésus qui a apporté le Royaume, Paul n’en est que le messager. L’auteur termine ce chapitre en se demandant si l’on pourrait accéder à Jésus, sans Paul ? Il répond par la négative : on ne peut accéder à Jésus que par ceux qui nous en ont parlé ; Paul est un témoin, au même titre que les auteurs des Évangiles. Les recherches sur le Jésus historique sont utiles, elles nous ont permis de le situer dans son cadre juif, mais le passage par les témoins est le seul chemin pour le connaître.
Conclusion : les Évangiles attestent que la prédication du Royaume de Dieu remonte bien au Jésus de l’histoire et qu’elle était encore une réalité au temps de l’Église apostolique. Mais comment actualiser le Royaume ? Faut-il abolir l’expression « Royaume de Dieu » dans nos Bibles, nos prédications ? Les auteurs du NT, même s’ils n’ont pas toujours parlé explicitement de Royaume, n’ont jamais cessé d’en proclamer la réalité. À leur exemple, l’Église d’aujourd’hui doit l’annoncer à son tour en veillant à garder un sain équilibre entre son ancrage divin et christocentrique et son incarnation qui doit se traduire, en attendant sa pleine réalisation finale, par la manifestation de ses effets transformateurs dans les individus et la société.
Un appendice traite du Royaume dans l’AT avec la problématique : l’AT dit que Dieu règne, mais le NT affirme qu’avec Jésus, le Règne de Dieu s’est approché. N’est-ce pas un paradoxe ? Comment l’interpréter ? Rhéaume voit deux manières pour le Royaume d’être présent : une royauté générale sur le monde et une royauté plus effective dans le peuple qui obéit à l’alliance. Traduit sur le plan temporel, on pourrait le décrire par le fameux
déjà et
pas encore . Il y a une progression dans le plan de Dieu pour le monde qui commence dans l’Ancien Testament, trouve une réalisation en Jésus et sera pleinement accompli à son avènement.
Alain Décoppet

  1. Le Royaume de Dieu, avant, avec et après Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001 et L’au-delà de la Bible : le temporel et le spatial , Genève, Labor et Fidès 2014.

La pauvreté à la lumière de la Bible : quelques propositions dans une perspective de doctrine sociale


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Le sujet de l’engagement social du chrétien et de l’Église a été l’occasion de débats passionnés parmi les évangéliques au niveau international ces dernières décennies1, mais ces controverses nous sont parvenues sous une forme atténuée en France. Bien qu’on en ait également discuté, les positions en présence ont moins polarisé (ce qui est plutôt une bonne chose), mais aussi moins intéressé (ce qui est dommage). Je voudrais ici faire quelques propositions en lien avec le sujet de la pauvreté. J’espère qu’elles pourront ouvrir des discussions pour aller plus loin.

Le pauvre Lazare et l'homme riche

Le pauvre Lazare et l’homme riche

La pauvreté à la lumière de la Bible : sens de l’expression

Comment réfléchir au sujet de la pauvreté à la lumière de la Bible ? Le sujet est souvent abordé aujourd’hui dans le cadre de la missiologie , avec des notions comme la mission intégrale ou la missio Dei . Sans discuter ici de l’intérêt ou des limites de cette approche2, je proposerai plutôt de penser à la pauvreté pour elle-même.

Une manière d’approcher la pauvreté à la lumière de la Bible consiste à examiner et à synthétiser les textes qui abordent ce thème puis à se demander comment les appliquer aux situations sociales contemporaines3. Cette démarche est pertinente à condition que l’on soit attentif au travail de discernement nécessaire pour distinguer les différentes catégories de textes bibliques qui parlent de pauvreté et pour faire la transposition du contexte original aux situations qui nous intéressent aujourd’hui.

Notre début de 21e siècle est en effet différent des temps bibliques, en particulier en raison du phénomène de la mondialisation . Comment fait-on pour appliquer un texte qui parle d’une relation personnelle proche (le pauvre couché au portail du riche dans l’histoire racontée par Jésus, Luc 16.20), à ma place au sein d’un système ultra-complexe (avec des pauvres qui souffrent des effets cumulés de milliards de gestes quotidiens dont certains sont accomplis par moi) ? Il y a certainement un rapport, mais aussi des différences.

D’autres questions se posent qui sont plus directement théologiques. Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (catholique) affirme que «  [l]e commandement de l’amour mutuel, qui constitue la loi de vie du peuple de Dieu , doit inspirer, purifier et élever tous les rapports humains dans la vie sociale et politique  »4(n.33). Cette thèse me paraît non seulement recevable mais également féconde et avoir eu quelques réalisations heureuses dans l’histoire, par exemple avec l’abolition de l’esclavage5, à condition que l’on sache marquer en même temps les différences qui existent entre la vie du peuple de Dieu et la vie sociale et politique. Un grand nombre de textes du Nouveau Testament consacrés aux pauvres concernent la vie de l’Église et s’ils peuvent certainement « inspirer, purifier et élever » notre action au sein de la société, ce sera dans un second temps et de manière assez dégradée. Attention au risque d’aller trop vite dans les transpositions !

Si l’on se tourne vers l’Ancien Testament, on peut relever que quand l’Écriture parle de pauvreté et de questions sociales au sein de l’Israël vétérotestamentaire, nous avons, comme Henri Blocher le met en valeur, un modèle « du plus haut intérêt » : « Dieu lui-même nous offre l’exemple d’un arrangement réaliste dans le monde pécheur, la meilleure approximation de la Justice qu’on puisse édicter au sein d’un peuple « à la nuque indocile »6. » Mais il souligne aussi que les conditions matérielles ont beaucoup changé et encore « le statut d’Israël sous l’Ancienne Alliance préparatoire » qui « n’est plus celui d’aucune nation aujourd’hui ». Le caractère typologique de certaines dispositions (par exemple du jubilé ou de la loi sur la remise des dettes) gagnerait à être davantage souligné si on veut les comprendre selon leur intention profonde7.

Traiter de la pauvreté à la lumière de la Bible peut également emprunter un chemin un peu différent et c’est ce que j’aimerais tenter dans cet article. Je partirai du présupposé selon lequel la Parole de Dieu a une autorité principielle
8
dans tous les domaines de la réalité sans exception et donc aussi dans le domaine social9, mais je ne présupposerai pas que la Bible serait une sorte de manuel de doctrine sociale répondant assez directement à toutes les questions que nous nous posons aujourd’hui. Les textes bibliques qui abordent la question de la pauvreté ont bien évidemment des enseignements à nous transmettre pour la construction d’une doctrine sociale, mais parfois moins directement que ce que nous aurions pu penser, et plutôt par déduction, par des considérations latérales par rapport aux textes ou des applications secondes.

« Inversement », pour réfléchir à la pauvreté à la lumière de la Bible, il n’y a aucune raison de se limiter aux textes qui parlent explicitement de pauvreté. C’est avec raison que, posant les fondements de la responsabilité sociale du chrétien, la Déclaration de Lausanne évoque des vérités aussi larges que notre doctrine de Dieu et de l’homme, l’amour du prochain et l’obéissance à Jésus-Christ10. Le cadre global création / chute / rédemption est particulièrement utile pour traiter de la pauvreté à la lumière de la Bible . Nous essaierons donc d’appréhender le phénomène de la pauvreté en nous demandant comment ce que la Bible dit l’éclaire et nous guide face à une réalité sombre et source de tant de souffrances.

Le phénomène de la pauvreté

Que faut-il entendre par « pauvreté » ? Une définition de dictionnaire donne : « État d’une personne qui manque de moyens matériels, d’argent ; insuffisance de ressources11. » C’est un point de départ utile, qui donne une idée de ce dont on veut parler, mais qui pose tout de suite une série de questions : quand on parle d’insuffisance de ressources, que sont des ressources « suffisantes » ? Parle-t-on des ressources suffisantes pour survivre ? Pour vivre sans souffrir de carences dans des domaines élémentaires ? Pour vivre d’une manière acceptable par rapport à une moyenne sociale admise ? De quels manques parle-t-on ? De manques « vitaux » ? Où loger la question des inégalités dans cette définition ?

Certaines approches de la pauvreté sont dites « absolues », d’autres « relatives ». Une approche absolue donne un seuil ou des critères qui permettent de dire que quelqu’un vit dans la pauvreté indépendamment de toute comparaison avec d’autres personnes. Une approche relative fixe le seuil de pauvreté par rapport à la situation d’une population donnée (par exemple les x% les moins favorisés ou les personnes qui doivent vivre avec 60% ou moins du revenu médian)12.

D’autres approches mettent l’accent sur les droits humains : pour elles, le pauvre est essentiellement un « détenteur de droits » dont certains droits, par exemple le droit à l’alimentation, ne sont pas respectés.

D’autres encore insisteront sur le fait que les pauvres sont privés de diverses possibilités d’agir, d’entreprendre, de mener des projets. L’économiste Amartya Sen utilise ainsi le terme de « capabilités » pour parler du fait qu’un individu est capable « de faire les choses qu’il a des raisons de valoriser »13.

D’autres encore essaieront des définitions plus englobantes qui prennent en compte plusieurs des aspects qui viennent d’être mentionnés. C’est le cas de ce texte que l’on trouve sur le site de l’UNESCO :

[…] La pauvreté peut être définie comme étant la condition dans laquelle se trouve un être humain qui est privé de manière durable ou chronique des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité et du pouvoir nécessaires pour jouir d’un niveau de vie suffisant et d’autres droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. (Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, 2001)14.

Relevons dans cette citation le caractère « durable » ou « chronique » de la pauvreté : on n’est pas pauvre parce que l’on souffre d’un manque, même aigu, pendant quelques heures ou quelques jours seulement.

Chacune de ces approches – et d’autres encore – a son intérêt, sa pertinence et ses limites, notamment quand il s’agit de déterminer combien de personnes sont pauvres et comment les situations de pauvreté évoluent dans le temps15. Plusieurs cherchent à établir une distinction entre pauvreté et misère / indigence ou entre pauvreté et extrême pauvreté16. Cela peut amener à combiner des approches différentes : avoir une compréhension absolue pour la définition de l’extrême pauvreté17, mais relative pour celle de la pauvreté18.

La Bible ne nous donne pas une définition de la pauvreté et ne nous amène pas non plus à trancher entre celles qui existent par ailleurs (à supposer qu’il faille le faire). Les définitions sont libres comme a bien su le dire Blaise Pascal19. Mais elles sont rarement neutres et ne présentent pas toutes le même intérêt ou la même utilité. Il me semble que la Bible attire notre attention sur certaines caractéristiques de la pauvreté : on peut souligner en particulier ce qui relève des carences dans la satisfaction des besoins de base , de la vulnérabilité face aux injustices et des relations abîmées ou brisées .

Les besoins de base

La nourriture et le vêtement peuvent servir à désigner la catégorie des « besoins de base ». L’apôtre Paul affirme nettement : « Si donc nous avons la nourriture et le vêtement, nous nous en contenterons » (1 Timothée 6.8). Lui-même n’a pas toujours eu ce minimum, comme il le souligne en rappelant aux Corinthiens qu’il s’est retrouvé à subir « faim et soif, jeûne souvent […] froid et dénuement » (2 Corinthiens 11.27). Quand Jésus, appelant ses disciples à rejeter les inquiétudes, leur dit que leur Père sait de quoi ils ont besoin, il fait allusion à ce que nous allons manger, à ce que nous allons boire ou de quoi nous allons nous vêtir (Matthieu 6.31-32). Au commencement, le Créateur pourvoit généreusement au besoin en nourriture de la créature faite en son image (Genèse 1.29) et, quand la chute est intervenue, lui procure lui-même des vêtements (Genèse 3.21).

Les questions de nourriture et de vêtement sont mentionnées dans plusieurs passages parlant de pauvreté. Jacques, évoquant une situation typique de pauvreté, décrit « un frère ou une sœur [qui] n’ont rien à se mettre et pas de quoi manger tous les jours… » (2.15). De même, le livre de Job, dans une description saisissante de la situation des pauvres parle de celui qui est « nu, privé de vêtement » et immédiatement après des « affamés… » (24.10). Dieu, qui aime l’immigré (l’une des figures bibliques du pauvre), lui donne « du pain et un manteau » (Deutéronome 10.18). Job, vantant sa justice à l’égard des pauvres du temps de sa prospérité demande : « Ma ration, l’ai-je mangée seul, sans que l’orphelin en ait eu sa part… » et encore : « Voyais-je un miséreux privé de vêtement, un indigent n’ayant pas de quoi se couvrir, sans que ses reins m’aient béni et qu’il fût réchauffé par la toison de mes brebis ? » (Job 31.17, 19-20, voir toute la section 16-23) Il réplique ainsi à Elifaz qui l’accusait d’avoir dépouillé ses frères « de leurs vêtements jusqu’à les mettre nus » et de ne pas avoir donné d’eau à l’homme épuisé, ainsi que d’avoir refusé le pain à l’affamé (22.6b-7). Le prophète Ésaïe appelant à agir à l’égard des pauvres parle de partager son pain avec l’affamé et de couvrir celui qui est nu (Ésaïe 58.7). Ézéchiel, dans les mêmes termes, décrit le juste qui « donne son pain à l’affamé » et « couvre d’un vêtement celui qui est nu » (18.7). Jean-Baptiste dit à ceux qui veulent savoir comment produire des fruits dignes de la repentance : « Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même » (Luc 3.11).

Le pauvre souffre donc de carences dans des domaines aussi élémentaires que la nourriture et le vêtement : il s’agit là d’une vision concrète et qui correspond assez bien à ce que le sens commun comprend quand on parle de pauvreté. À ce stade, la compréhension reste plutôt « absolue » (on n’est pas pauvre parce qu’on a moins à manger que son voisin ou que la moyenne dans son pays, mais parce qu’on a faim), mais la caractérisation reste assez vague. Elle ne nous dit pas quel type de manque de nourriture ou de vêtement caractérise le pauvre : manque significatif mais supportable ou dénuement extrême. L’expression « nourriture et vêtement » peut être prise comme une synecdoque dans laquelle une partie des besoins de base de l’être humain tient lieu de l’ensemble. Quand on voit cela, on peut ajouter plusieurs considérations supplémentaires.

Si la nourriture et le vêtement servent à désigner les besoins de base de l’être humain, ils ne sont pas exactement sur le même plan. La nourriture paraît être le besoin le plus fondamental. Bien que certains textes bibliques mentionnent uniquement le vêtement, comme ce passage de Jacques qui évoque l’hypothèse qu’« un pauvre vêtu de haillons » (2.2) entre dans l’assemblée ou la disposition de l’Exode sur le vêtement du prochain pris en gage (22.25-26), la nourriture vient plus souvent au premier plan. Les récits de famine sont finalement assez nombreux (divers épisodes dans la Genèse, mais aussi dans Ruth, 2 Rois 6-7, les descriptions des Lamentations, notamment 1.11 2.11-12, 20 et jusqu’aux Actes des Apôtres, 11.27-30). Le sage demande : « … ne me donne ni indigence, ni richesse, dispense-moi seulement ma part de nourriture…. » (Proverbes 30.8) et tout croyant prie : « Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin… » (Matthieu 6.11) La solidarité envers le pauvre peut être résumée avec la parole suivante : « Qui a le regard bienveillant sera béni pour avoir donné de son pain au pauvre. » (Proverbes 22.9) Le pain peut représenter à lui tout seul tout ce dont nous avons réellement besoin.

Si l’on peut « réduire » le duo « nourriture et vêtement » pour ne plus parler que du pain, il faut ajouter qu’il est aussi possible d’élargir la liste des besoins de base de l’être humain. Les prolongements les plus évidents seraient de rajouter la boisson à la nourriture, comme le fait Jésus dans le sermon sur la montagne (Matthieu 6.31) et le logement au vêtement, comme le fait Ésaïe en parlant d’héberger les pauvres sans abri (58.7). Le logement est un prolongement du vêtement et sert les mêmes buts : la protection de l’intimité, mais aussi le refuge face au froid et aux intempéries. Le texte du jugement des nations en Matthieu 25, quelle que soit l’interprétation que l’on en donne (en particulier sur l’identité de « ces plus petits qui sont mes frères20 »), évoque la faim, la soif, la nudité, mais aussi la condition de l’étranger, du prisonnier et du malade. Ce texte ne parle pas uniquement de pauvreté au sens restreint du terme mais nous place bien sur le registre des besoins fondamentaux et des manques : une vie qui répond à l’intention créatrice de Dieu va avec la santé, la liberté et des relations humaines au sein d’une société. Pour les trois derniers points abordés, c’est bien l’accueil ou le fait de venir vers la personne en question qui sont soulignés (et non pas les soins, comme on aurait pu s’y attendre pour le malade).

Jusqu’où peut-on élargir la catégorie des besoins de base ? Le mandat créationnel du début de la Genèse assigne aux humains une tâche qui ne pourra être accomplie que par l’humanité toute entière : être féconds et prolifiques, remplir la terre et la dominer. Chacun a son rôle à jouer et la pauvreté entrave la participation au mandat commun, non seulement quand le minimum vital manque, mais aussi quand les conditions pour mener une vie « normale »21, insérée dans une société humaine, ne sont pas réunies. C’est pour cela que, dans le contexte d’une société agraire comme l’était l’Israël de l’Ancien Testament, Dieu avait voulu que chaque famille ait accès à la terre. Ron Sider a suggéré de manière très intéressante que ce qui correspond à une telle disposition dans de nombreux contextes aujourd’hui serait d’assurer le droit à l’éducation pour tous – car l’éducation dans une société mondialisée remplit un rôle analogue à l’accès à la terre dans une société agraire : la possibilité de pourvoir à ses besoins et à ceux des siens par la création de richesse22.

Nous ferons donc bien de rajouter quelques éléments au seul couple « nourriture et vêtement » en tenant compte de la diversité des contextes. Il y a un élément de vérité dans les définitions plus relatives ou contextuelles de la pauvreté. Il est même légitime, comme on l’a fait dans une théologie chrétienne classique (tant thomiste que calviniste), de distinguer différents états de vie qui ont des exigences différentes : on ne définira pas de la même manière ce qui est un manque pour un roi et ce qui l’est pour un artisan23. Ce qui complique considérablement l’analyse aujourd’hui est la disparité énorme qui coexiste entre les états de vie sur la surface de notre globe.

Et pourtant… il faut immédiatement avertir du danger à aller trop loin sur la route des définitions relatives. La parole de l’apôtre Paul sur le fait de se contenter de la nourriture et du vêtement (1 Timothée 6.8) évoque à l’évidence des conditions de vie assez minimales – mais qui semblent suffisantes pour ne pas être considérées comme méritant le nom de pauvreté.

Une dernière question se pose concernant les manques dont souffrent ceux qui vivent dans la pauvreté : j’ai beaucoup parlé des besoins de base de l’être humain mais peu de la question de l’argent. Qu’en est-il de ce sujet ? Je ne suis pas sûr que la Bible en parle tant que cela pour nous aider à cerner la nature de la pauvreté. Dans un article très intéressant, Jacques E. Blocher insiste sur la distinction à faire entre l’argent et la richesse24. L’argent n’est « qu’ »un moyen (d’échange) pour obtenir des biens qui sont, eux, la véritable richesse. Si cette perspective est juste, comme je serais prêt à le dire, le fait de posséder peu ou pas d’argent n’est pas à soi seul une condition suffisante pour être pauvre : cela ne le devient qu’à partir du moment où ce manque d’argent empêche de se procurer nourriture et vêtement (c’est-à-dire de satisfaire à ses besoins de base) et empêchent la vie « normale » dans son contexte social. Dans la plupart des cas aujourd’hui, pauvreté et manque d’argent sont de fait indissociables. Mais une distinction conceptuelle subsiste et les définitions de la pauvreté qui se réfèrent uniquement au revenu monétaire risquent toujours d’appauvrir (!) la compréhension de ce que l’on vise quand on combat la pauvreté25.

Les injustices

Outre le sujet des carences dans la satisfaction des besoins de base, la Bible mentionne à de nombreuses reprises les injustices dont les pauvres sont régulièrement victimes. Mentionnons ici quelques textes à titre d’échantillon : il ne serait pas possible d’indiquer tous les passages pertinents.

Le 24e chapitre de Job (versets 2-12) donne une description détaillée des injustices dont souffrent les plus démunis : il parle de bornes déplacées (c’est-à-dire des limites de la propriété qui sont élargies aux dépens du voisin qui n’a pas les moyens de se défendre), du bœuf de la veuve retenu en gage, de l’âne des orphelins qui est emmené ; de personnes qui ont un travail harassant mais qui ne peuvent pas vivre dignement du fruit de leur travail. Job embarque ces constatations dans la défense de sa propre cause (il n’est pas clair qu’il s’intéresse au sujet de la pauvreté en tant que tel !), mais le tableau qu’il brosse n’en est pas moins saisissant et instructif. Il semble toujours très actuel.

La loi de Moïse met en place toute une série de dispositions pour protéger les pauvres26. Elles devaient restreindre la tendance du fort à abuser des avantages que lui donnait sa position. Les prophètes dénoncent régulièrement l’oppression des pauvres. Dieu ne supporte pas le fait qu’un culte formellement impeccable, voire grandiose, se conjugue avec l’oppression du prochain (Ésaïe 1.10-20). Une manière injuste de vivre le travail et le commerce, qui se fait notamment aux dépens des pauvres, reçoit des reproches cinglants du prophète Amos (8.4-10).

L’importance du souci de la justice en rapport avec la situation de ceux qui vivent dans la pauvreté est encore souligné par des affirmations et des injonctions positives : le Deutéronome souligne que Dieu donne du pain et un manteau à l’émigré et qu’il rend justice à l’orphelin et à la veuve (10.17-18). Ésaïe, dans le passage qui parle de partager son pain avec l’affamé, enjoint de dénouer les liens provenant de la méchanceté et de détacher les courroies du joug (58.6) et ailleurs de faire droit à l’orphelin et de prendre la défense de la veuve (1.17). La responsabilité de ceux qui sont en situation d’autorité politique et judiciaire (les deux sont moins dissociées dans la Bible que dans nos démocraties contemporaines) d’ouvrir la bouche au service du muet, pour la cause de tous les vaincus du sort, de juger avec équité et de défendre la cause des humbles et des pauvres, est fortement affirmée (Proverbes 31.8-9, texte qui s’adresse à un certain roi Lemouël, probablement hors du contexte d’Israël). L’ensemble de la société judéenne (roi, serviteurs du roi et peuple) est interpellé en ces termes : « Défendez le droit et la justice, délivrez le spolié de la main de l’exploiteur, n’opprimez pas, ne maltraitez pas l’immigré, l’orphelin et la veuve, ne répandez pas de sang innocent en ce lieu ! » (Jérémie 22.2-3).

Dans le Nouveau Testament, l’épître de Jacques tonne contre les riches qui ont frustré de leur salaire les ouvriers agricoles qu’ils avaient employés (5.1-6) et Jésus annonce une condamnation « particulièrement sévère » aux scribes qui « dévorent les maisons des veuves » tout en donnant l’apparence de la piété (Luc 20.45-47). La description de la Babylone d’Apocalypse 18 implique aussi le sujet des injustices sociales.

Les pauvres se retrouvent donc souvent dans la situation d’être opprimés. Le trait est relevé suffisamment souvent pour être fortement affirmé dans l’élucidation de la nature de la pauvreté. Plusieurs questions difficiles se posent néanmoins.

La première question est celle de savoir comment on définit justice et injustice. Le sujet est explosif parce que le sens du juste et de l’injuste est en chacun de nous à la fois viscéral, implanté en nous par notre Créateur et déformé par le péché et par notre parcours de vie. Il faudra se contenter ici d’indications très schématiques27.

Le Deutéronome déclare : « Pour nous la justice sera d’observer et de mettre en pratique tous ces commandements devant l’Éternel, notre Dieu, comme il nous l’a commandé. » (Deutéronome 6.25) Je propose de dire que la justice, c’est la satisfaction des exigences de la loi de Dieu
28
. Puisque la loi nous commande d’aimer notre prochain comme nous-même, donner son pain à l’affamé est affaire de justice – c’est pourquoi cela rentre dans la description du juste en Ézéchiel 18.5-9 – et l’égoïsme est une forme d’injustice dont le pauvre fait les frais.

Le langage de la justice nous place naturellement dans l’univers du tribunal . Une situation d’injustice typique subie par le pauvre, dans une perspective biblique, est celle qui se déroule dans ce contexte-là. Dans la parabole du juge inique, Jésus nous parle d’une veuve qui demande justice de son adversaire (Luc 18.1-8). C’est à la porte de la ville, c’est-à-dire au lieu où se rendait la justice29, que les pauvres sont déboutés dans Amos 5.12 (la TOB n’utilise d’ailleurs même pas le mot « porte » contrairement à la Bible à la Colombe , et met directement : « tribunal »). La loi de Moïse avertit contre la tentation de porter atteinte au droit du pauvre dans son procès (Exode 23.6). L’une des pires injustices possibles est celle qui consiste à tordre la loi elle-même, la norme, pour opprimer le pauvre (cf. Ésaïe 10.1-2, Psaume 94.20).

On peut transposer la caractérisation générale de la justice en affirmant que la justice sociale, définie dans une perspective biblique, consistera dans la satisfaction des exigences de la loi de Dieu pour la vie humaine en société. Mais une distinction doit immédiatement être introduite entre l’intention créatrice de Dieu pour l’humanité et l’adaptation nécessaire pour rendre la vie possible dans un monde corrompu. La justice que nous cherchons à faire prévaloir dans notre société et la justice que les autorités politiques et judiciaires ont pour vocation de promouvoir n’est pas la justice sociale au sens plein du terme : les efforts pour instaurer le Royaume de Dieu sur la terre sont non seulement futiles, mais dangereux. Nous ne pouvons pas faire autrement que de chercher à faire toujours mieux tout en tolérant une certaine mesure d’injustice (encadrée si possible)30. La loi civile de l’Ancien Testament nous donne un tel modèle de législation faite pour des pécheurs. Émile Nicole a su montrer comment les dispositions en faveur des pauvres se conjuguent à l’absence totale, voire brutale, de toute perspective utopique31.

Une deuxième question qu’il nous faut aborder est celle de savoir si l’injustice est une composante essentielle de la pauvreté. Autrement dit : faut-il penser que tous les pauvres sont nécessairement victimes d’injustice, voire que la pauvreté elle-même serait une injustice ?

Exode 23.3 enjoint de ne pas favoriser un faible (ou un indigent) dans son procès. Cette parole surprenante, mais combien profonde, montre l’importance de rappeler un principe d’ impartialité (cf. aussi Lévitique 19.15) : le pauvre n’a pas toujours raison et on ne doit pas systématiquement lui donner l’avantage. Il n’est pas toujours victime de l’injustice dans tous les cas.

Contrairement au riche, le pauvre n’est généralement pas en mesure de faire un cadeau au juge, de lui donner un pot-de-vin. Mais il n’y a pas que les présents qui peuvent faire dévier la sentence dans un tribunal. Dans son commentaire sur Exode 23.3, Calvin évoque entre autres cas :

  • Une «  compassion mal placée » envers un pauvre qui serait coupable, compassion dont la tentation est d’autant plus dangereuse qu’elle peut se couvrir de l’apparence de la vertu (ça « fait bien » de se mettre du côté de la veuve et de l’orphelin).
  • Le fait de céder devant la ténacité et les lamentations des pauvres – même si ceux-ci sont dans leur tort
    32 .

Il vaut donc mieux dire, je crois, que la pauvreté rend toujours vulnérable à l’injustice. Mais elle ne rend pas les hommes bons ou saints. Comme le dit Henri Blocher, l’homme pèche tant qu’il peut33. Le réalisme de la vision biblique du péché doit nous amener à nous attendre à ce que les pauvres se rendent aux aussi coupables d’injustices s’ils en ont la possibilité. Mais précisément parce qu’ils ont moins de possibilités de ce genre, nous pouvons penser que les pauvres courent tous ou presque un risque plus élevé que la moyenne des humains de subir des injustices. En cas de problème, ils auront souvent plus de mal que les autres à faire valoir leurs droits.

Mais peut-on dire, de façon plus globale, que la pauvreté est elle-même une injustice ? Si l’on affirme que la justice est la satisfaction des exigences de la loi de Dieu, il me semble qu’il faut souligner que ce que la loi de Dieu commande c’est que notre cœur

soit disposé d’une certaine façon (l’amour de Dieu et du prochain) et que nous agissions d’une certaine façon (au sein du « territoire » balisé par les commandements divins). De cela découleront des conséquences (heureuses ou malheureuses) et des situations (pour nous et pour les autres), y compris parfois la pauvreté ou la disparation de certaines situations de pauvreté. Notre responsabilité concerne d’abord ce que nous faisons et l’orientation de notre cœur et beaucoup moins directement (voire pas du tout, dans certains cas) la situation dans laquelle nous vivons. La loi de Moïse disait, en substance : pratiquez la justice, c’est-à-dire obéissez à ma loi, et il n’y aura pas de pauvreté (cf. Deutéronome 15.1-11). Elle ne disait jamais : éradiquez la pauvreté car c’est cela que veut dire pratiquer la justice ! On peut donc dire qu’une société où règnerait une justice parfaite (les nouveaux cieux et la nouvelle terre où la justice habitera – 2 Pierre 3.13) serait sans pauvreté. Mais dire que la pauvreté est une injustice ressemble à un raccourci ou en tout cas à un usage dérivé ou par extension du mot « injustice ».

Les relations

Si l’on veut approfondir le sujet de la pauvreté à la lumière de la Bible, je crois qu’il est intéressant de relever l’expression toute faite et bien connue « la veuve et l’orphelin », à laquelle s’ajoute parfois l’« émigré » ou l’« immigrant ». Il me semble qu’il s’agit là encore de désigner un tout (l’ensemble des pauvres) en nommant une partie de ce tout (les veuves et les orphelins), même si la synecdoque est sans doute un peu moins évidente que pour l’expression « nourriture et vêtement ».

Les textes qui utilisent ces termes sont nombreux. Ils se situent essentiellement dans l’Ancien Testament, mais Jacques affirme aussi que « [l]a religion pure et sans tâche, devant Dieu le Père, la voici : visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse ; se garder des souillures du monde pour ne pas se souiller34 » (1.27) et porte une attention particulière à la situation des veuves à l’intérieur de l’Église (cf. Actes 6.1-7 ; 1 Timothée 5.3-16)35. Le Psaume 68 affirme que Dieu est « Père des orphelins, justicier des veuves » (verset 6) Ce texte est d’autant plus intéressant qu’il est assez rare que Dieu soit appelé « Père » dans l’Ancien Testament. En Deutéronome 24.17-22 la triade veuve / orphelin / émigré apparaît quatre fois. Certains textes ajoutent le lévite (Deutéronome 14.29) ou le pauvre (Zacharie 7.10)36.

Cette expression nous dit certes quelque chose sur qui étaient les pauvres aux temps bibliques. Il n’est pas impossible que, dans un autre contexte, la majorité des pauvres se trouvent dans des situations différentes. Mais considérer ces trois catégories de personnes nous fait aussi faire un pas supplémentaire dans notre compréhension de la pauvreté. Il ne s’agit plus tant de contribuer à la définition de la pauvreté, mais plutôt de décrire quels types de personnes sont les pauvres, de comprendre qui est susceptible de devenir pauvre et comment la pauvreté peut s’installer. Savoir quelque chose des causes peut nous guider dans la recherche des remèdes .

La veuve, l’orphelin et l’émigré sont des personnes pour lesquelles une relation clé a été abîmée ou brisée37. La veuve a perdu son mari ; l’orphelin a perdu son père ; l’émigré est isolé par rapport à la communauté dont il est originaire. La rupture des relations peut conduire à la pauvreté ; tout comme la pauvreté renforce l’isolement.

Certains versets des Proverbes permettent de prolonger la réflexion : « La richesse multiplie le nombre des amis, mais le faible est coupé même de son ami. » (19.4) « Tous ses frères détestent l’indigent, à plus forte raison ses amis s’éloignent-ils de lui. Tandis qu’il poursuit ses discours, ils ne sont plus là ! » (19.7)

Il est donc intéressant de noter que le pauvre est atteint non seulement dans ses besoins physiques (nourriture et vêtement), mais aussi dans ses besoins relationnels. Fragilisés et atteints dans les relations humaines et sociales qui contribuent tant à la stabilité d’une vie, les pauvres ne sont pas en mesure de rentrer dans les rapports de « donnant-donnant » qui caractérisent bien plus que nous ne l’admettons parfois les réalités humaines. Jésus souligne cet aspect de la pauvreté lorsqu’il dit :

« Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, sinon eux aussi t’inviteront en retour, et cela te sera rendu. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, et tu seras heureux parce qu’ils n’ont pas de quoi te rendre : en effet, cela te sera rendu à la résurrection des justes. »

(Luc 14.12-14) Cela ne signifie pas que les pauvres n’ont rien à apporter dans des relations personnelles ou pour la construction de la société ou de l’Église (cf. Ecclésiaste 9.13-16), mais que ce qu’ils peuvent apporter n’est pas « socialement équivalent » à ce que des personnes riches – ou en tout cas qui ne sont pas pauvres – peuvent donner.

L’isolement explique la vulnérabilité à l’injustice et l’enfermement dans un cercle vicieux de pauvreté. Il peut empêcher d’accéder aux moyens de gagner sa vie, comme on peut le voir dans l’histoire de la veuve secourue par Élisée (cf. 2 Rois 4.1-7). C’est ce qui explique l’importance de la loi du jubilé qui redonnait à chacun les moyens de produire ce dont il avait besoin avec sa famille (Lévitique 25.8-17).

Le cadre d’un monde déchu

Jusqu’à présent, nous avons cherché à éclairer le phénomène de la pauvreté en relevant certaines caractéristiques des textes bibliques qui touchent le sujet : le couple « nourriture et vêtement » ; la mention récurrente des injustices auxquelles les pauvres sont exposés ; l’expression « la veuve, l’orphelin et l’émigré ».

Le cadre biblique global, souvent présenté à l’aide de la triade création / chute / rédemption38, jette lui aussi une lumière sur la réalité de la pauvreté. C’est sur l’arrière-plan de ce que l’Écriture nous dit d’un monde déchu qu’il faut l’appréhender.

La Bible raconte comment, au commencement, Dieu a créé toutes choses et affirme que tout était bon à l’extrême (cf. Genèse 1.31). Dans Genèse 1 et 2, on ne trouve pas de trace de pauvreté. Le lecteur retire plutôt une impression d’abondance dans laquelle l’ensemble des besoins humains sont pleinement satisfaits. C’est cela l’intention créatrice de Dieu pour l’humanité.

La désobéissance des humains au commandement de Dieu a introduit dans le monde une situation profondément anormale . Le théologien Auguste Lecerf utilisait l’expression « anormalisme » pour caractériser la vision biblique du monde39. Ni les humains, ni la société, ni la création ne « fonctionnent » comme ils le devraient aujourd’hui. Il s’agit de beaucoup plus que d’un dysfonctionnement, même grave, que l’on pourrait régler avec le temps ou par des efforts (réformistes ou révolutionnaires). Cet état subsistera jusqu’à l’intervention finale du Christ.

L’apôtre Paul dit que la création a été soumise à la vanité (Romains 8.20 – il me semble sous-entendu que c’est Dieu qui l’y a soumise suite au péché originel). L’être humain a été créé pour une relation harmonieuse avec son Dieu et avec son prochain et pour trouver une place au sein de la société et en relation avec la terre. Tout cela a été atteint par la chute comme les chapitres 3 et suivants de la Genèse le montrent : l’homme se cache devant son Dieu (3.8) ; les relations entre l’homme et la femme ou entre les frères sont marqués par la tension, jusqu’au meurtre (3.12, 16 ; 4.3-8) ; la société humaine se corrompt et se remplit de violence (6.5, 11 ; cf. 8.21 ; 9.2, 5-7) ; il devient plus difficile pour l’homme de réussir à satisfaire ses besoins de base : la terre produit des chardons et des broussailles (3.17-19). Derrière les malheurs de Job – un riche ayant tout perdu – la Bible nous apprend même à voir l’action d’une puissance personnelle mauvaise (voir Job 1-2). C’est dans ce tableau général que l’on peut inscrire les différents « ingrédients » de la pauvreté dont nous avons parlé : les carences dans la satisfaction des besoins de base, les injustices et les ruptures de relations qui caractérisent la situation de la veuve, de l’orphelin et de l’émigré.

Cependant il faut aussi ajouter que Dieu limite les dégâts consécutifs à la chute. Il pose un cadre qui rend la vie humaine possible (cf. Genèse 8.21-22), et continue à faire du bien à tout ce qu’il a créé (cf. Psaume 145.9). Jésus souligne qu’il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes (Matthieu 5.45) et Paul qu’il ne manque pas de témoigner sa bienfaisance aux nations en envoyant aux humains du ciel pluies et saisons fertiles, et même en comblant de nourriture et de satisfaction le cœur de personnes qui lui tournent le dos (Actes 14.16-17). C’est à cette action de grâce commune qu’il convient de rapporter toutes les bonnes choses qui subsistent dans un monde déchu et qui devraient inciter ceux qui ont plus à se conduire de façon solidaire et juste à l’égard de ceux qui possèdent moins40.

S’il faut inscrire la réalité de la pauvreté dans le cadre d’un monde déchu, il est nécessaire de souligner que le lien entre péché et pauvreté est global et complexe . L’expression « monde déchu » plante le décor et permet de poser quelques points de repère, mais il serait très naïf de penser que, pour une situation de pauvreté donnée, on pourrait trouver dans tous les cas « le » péché unique qui en est la cause directe : que ce soit le péché des riches, des puissants, des gouvernants ou celui des pauvres ou encore celui du diable. Même le péché originel ne conduit à la pauvreté que via tout un circuit de conséquences imbriquées les unes dans les autres – si la chose était directe et automatique, nous serions tous pauvres parce que tous pécheurs et marqués par le péché originel ! Face à la question des causes de la pauvreté, la Bible nous apprend à résister aux généralisations simplistes et aux réponses trop rapides.

Pistes d’assimilation

L’enseignement biblique jette une lumière sur ce phénomène si sombre qu’est la pauvreté. Il ne se substitue pas aux analyses des spécialistes ou des professionnels de l’action sociale, de l’aide humanitaire, du développement ou du plaidoyer. Mais il est susceptible de guider celui qui le reçoit sur le chemin d’une réponse chrétienne à la pauvreté. Contentons-nous de suggérer rapidement quelques pistes en reprenant les éléments que nous avons passés en revue, mais dans un ordre inversé.

Sur le cadre biblique global d’abord : j’ai utilisé l’expression « monde déchu ». Mais si nous voulons nous situer face à la détresse humaine, il faudra préciser : « monde déchu pour lequel Dieu a un avenir  ». La grâce commune est déjà tournée vers Jésus-Christ car elle est ordonnée à la grâce du salut. Dès Genèse 3, l’histoire humaine est orientée par la promesse de la délivrance. C’est en considération de son œuvre que Dieu préserve le monde. Grâce à Jésus, notre vie peut être placée toute entière – c’est-à-dire aussi dans sa dimension de responsabilité sociale – sous le signe de l’ espérance .

Nous vivons dans une situation anormale et il serait illusoire de penser que nous serions en mesure de rétablir la situation « normale » du commencement, le paradis perdu, en y mettant suffisamment d’argent et de moyens ou même de passion, de foi et d’amour. Et pourtant , parce que Dieu est vraiment bon et que Jésus est vraiment venu, il faut dire non seulement qu’il est toujours bien d’aimer son prochain, de pratiquer la justice, d’aimer la miséricorde, de faire pour les humains ce que nous voudrions qu’ils fassent pour nous, mais aussi que cela en vaut toujours la peine . Dans le présent ou dans l’avenir41, Dieu fera porter du fruit à ce que nous faisons pour lui.

Nous avons naturellement tendance à osciller entre une confiance exagérée entre ce que nous pouvons accomplir (à titre individuel, collectivement ou via l’État) et un cynisme désabusé, désengagé, voire paresseux, mais la Bible voudrait nous débarrasser de nos utopies tout en nous remplissant d’espérance. Il est bon de rappeler ici les mots de la Déclaration de Lausanne  :

… nous rejetons, comme rêve orgueilleux et présomptueux, l’idée que l’homme puisse jamais édifier sur terre un règne de paix et de bonheur. Nous croyons que Dieu rendra parfait son royaume et, avec un ardent désir, nous attendons ce jour ainsi que les nouveaux cieux et la nouvelle terre où la justice habitera et où Dieu règnera pour toujours. Entre-temps, nous nous consacrons de nouveau au service du Christ et à celui des hommes, en nous soumettant avec joie à son autorité sur nos vies tout entières42.

Plutôt que « changer le monde dès aujourd’hui », la Bible nous invite dans le présent à servir en attendant Jésus.

L’importance des relations abîmées et brisées dans le phénomène de la pauvreté nous dit quelque chose sur la manière d’agir face à la pauvreté. Si l’on peut caractériser la pauvreté en termes de carences dans la satisfaction des besoins de base, cela ne signifie pas pour autant que l’on peut régler le problème en se contentant de fournir des biens matériels manquants ou d’ injecter de l’argent . Steve Corbett et Brian Fikkert ont écrit un livre intitulé de façon significative Quand aider fait du tort . Sans valider l’ensemble de leurs analyses, nous aurions intérêt à nous laisser interpeller par leur message. Ils arguent que la restauration des relations fait partie de l’essence de la réduction de la pauvreté43et combattent vigoureusement le paternalisme consistant à faire pour les autres ce qu’ils sont capables de faire pour eux-mêmes44. S’il est des situations où il faut se contenter de l’assistance, sur le long terme, le mot d’ordre serait plutôt de fortifier le faible (cf. Ézéchiel 34.4 et 16). Tim Chester affirme :

« Faire reprendre des forces aux faibles », cette formule résume bien ce que représente une bonne action sociale. L’engagement social ne peut se réduire à fournir des biens et des services aux démunis. On peut parler d’œuvre sociale réussie quand les pauvres ont les moyens de faire des choix et d’induire des changements45.

Cette manière de voir les choses rejoint partiellement, après un détour, certaines des propositions présentées plus haut comme celle d’Amartya Sen sur les « capabilités ».

La démarche décrite par Tim Chester demande une implication personnelle approfondie avec ceux qui vivent dans la pauvreté pour leur permettre de trouver pleinement leur place dans la société humaine. Elle demande du temps, d’être prêt à cheminer avec les pauvres, et parfois d’échouer. Toutes les situations de détresse ne peuvent pas être redressées ici-bas. Mais certaines le peuvent : cela vaut donc la peine d’essayer !

L’accent biblique sur les injustices en rapport avec la situation de ceux qui vivent dans la pauvreté devrait nous faire réfléchir dans trois directions au moins.

Tout d’abord, chacun peut réfléchir à la question de l’injustice dans sa vie personnelle. Nous nous retrouvons tous, à un moment ou à un autre, dans une situation de force face à quelqu’un de plus faible que nous – et il arrivera probablement parfois qu’il s’agisse d’une personne en situation de pauvreté. Le livre des Proverbes avertit implicitement contre la dureté de la réponse du riche au pauvre (18.23) et explicitement contre le fait de refuser de faire du bien à qui en a besoin quand on peut le faire (3.27). La générosité est une question de justice46et c’est sans doute à ce niveau que nous péchons le plus souvent.

Nous pouvons ensuite réfléchir au problème de notre participation à un système injuste dont les pauvres font souvent les frais. Ici la question se fait beaucoup plus complexe. La Bible a quelque chose à dire sur le mal systémique (cf. la figure de Babel / Babylone, de la Genèse à l’Apocalypse), mais transposer des textes (comme Ésaïe 58 par exemple) qui parlent d’injustices dans les relations personnelles à des situations d’injustices systémiques demande plus que du doigté : une attention aux effets de seuil qui atténuent (voire exténuent) la responsabilité. Même ceux qui utilisent l’expression contestée (et contestable47) de « péché structurel » sentent bien qu’il y a une différence entre le fait de maltraiter son employé et celui d’acheter un produit qui est arrivé dans notre magasin en suivant une longue chaîne dans laquelle des choses mauvaises, voire abominables, se sont produites48 : dans le premier cas, je suis directement responsable. Qu’en est-il dans le deuxième ?

Je propose de dire que le seul fait de participer à un système mauvais ne suffit pas à nous rendre coupables ou complices personnellement : c’est le discernement de la vocation de chacun (qui peut varier considérablement d’une personne à l’autre – il suffit de penser à la différence entre un enfant et un président de la république !) qui va déterminer le rôle que nous avons à jouer et la responsabilité qu’il nous faut assumer au sein des structures dans lesquelles nous sommes insérés. Il faut être conscient du fait que sur ce sujet des différences d’analyse considérables risquent de se présenter parmi les chrétiens49.

Nous pouvons enfin élargir la réflexion sur les injustices à partir de l’injonction de ne pas favoriser un faible dans son procès : si l’on passe du jugement au cours d’un procès au jugement que l’on se forme dans le travail intellectuel, je crois que ce verset est particulièrement utile à méditer aujourd’hui. Il existe une tendance à favoriser idéologiquement le pauvre ou les pays pauvres, à présupposer, même sans avoir examiné la question et les différents éléments d’une problématique, que si un être humain ou un pays sont pauvres, c’est forcément qu’il y a de mauvais riches quelque part qui en sont les responsables, voire les principaux ou les seuls responsables. Il est possible qu’il en soit (souvent) ainsi, mais quand nous portons un jugement sur une situation, veillons néanmoins à ne pas favoriser le faible, mais à rechercher tout simplement la vérité – qui est souvent complexe. L’inverse est vrai : l’injonction de ne pas fausser le droit du pauvre dans son procès devrait amener les chrétiens à refuser les jugements à l’emporte-pièce, les généralisations négatives et les idées reçues caricaturales à l’égard des pauvres que l’on rencontre encore trop souvent aujourd’hui.

Enfin concernant l’accent biblique sur les besoins de base , nous ramène à des considérations terre-à-terre : l’idéal est que chacun ait assez pour satisfaire, et même largement, à ses besoins tels que Dieu les a voulus. Nous devons travailler dans ce sens pour nous et pour notre prochain. Il ne s’agit pas pour autant que tous nos désirs plus ou moins pécheurs soient exaucés, que nous ayons forcément autant que les autres ou que notre niveau de vie augmente indéfiniment. Peut-être même faudrait-il qu’il baisse un peu pour que celui de notre prochain soit plus acceptable ?

En nous parlant de nourriture ou de vêtement, de logement ou de boisson, la Bible nous plonge dans la réalité la plus ordinaire. Nous pouvons (presque) tous contribuer à notre façon en partageant notre pain – la veuve qui a nourri Élie ne pourrait-elle pas en servir d’illustration (cf. 1 Rois 17.8-16) ?

Si la pauvreté apparaît comme l’une des caractéristiques d’un monde déchu, l’action chrétienne face à elle sera, dans notre quotidien et selon notre vocation, un reflet de la grâce du Dieu qui a un avenir pour l’humanité en Jésus-Christ : en partageant notre pain, nous confessons que si nous vivons, c’est parce que Dieu nous a donné le Pain vivant descendu du ciel. Le Dieu d’Ésaïe 58 qui parle d’action en faveur du pauvre est le Dieu d’Ésaïe 55 qui offre le salut comme un repas gratuit sur la base de l’œuvre accomplie par celui qu’il appelle « mon Serviteur » et qui a été décrite en Ésaïe 53.

  1. En 1982 s’est déroulée à Grand Rapids aux États-Unis une consultation sur la relation entre l’évangélisation et la responsabilité sociale sous les auspices du comité de Lausanne et de ce qui s’appelle aujourd’hui l’Alliance Évangélique Mondiale. John Stott avouera s’y être rendu « avec un degré d’appréhension considérable », « presque désespéré ». Tim Chester raconte que « dans un groupe de discussion un des participants en accusa un autre de défendre cet autre évangile qui était anathème pour Paul {…}  ». Cf. Timothy Chester, Awakening to a World of Need , The recovery of evangelical social concern , Leicester, Inter-Varsity Press, 1993, p.122. Je traduis. Le même auteur présente de manière schématique quatre personnages représentant quatre positions différentes sur l’engagement social que l’on peut rencontrer dans le monde évangélique : Tim Chester , La responsabilité du chrétien face à la pauvreté , trad. Annick Tchangang, Marne-la-Vallée, Éditions Farel, 2006, p.3-5.
  2. J’ai eu l’occasion de développer quelques pensées sur le sujet lors d’une journée du REMEEF (Réseau de missiologie évangélique pour l’Europe francophone) à Nogent-sur-Marne le 21 novembre 2018. Une publication devrait voir le jour à ce sujet. On peut également se référer à mon article « Does Integral Mission include everything that God requires of us and does God require of us everything included in Integral Mission » sur le site Internet de Micah Global : http://www.micahnetwork.org/sites/default/files/doc/page/does_im_include_everything_that_god_requires_of_us_daniel_hillion.pdf
    Page consultée le 15 mars 2019.
  3. On peut consulter le petit ouvrage de Jacques Blandenier, Les pauvres avec nous , La lutte contre la pauvreté selon la Bible et dans l’histoire de l’Église, Valence, Éditions LLB, coll. Défi Michée, 2006.
  4. Compendium de la doctrine sociale , établi par le Conseil Pontifical Justice et Paix, Paris, Les Éditions du Cerf – Bayard – Fleurus Mame, 2005, n.33, p.19.
  5. Sur ce sujet, cf. Jacques Buchhold, « Paul et l’esclavage » dans Théologie Évangélique , volume 4, n°2, 2005, p.29-38
  6. Henri Blocher, « Un regard sur la théologie africaine » dans Théologie Évangélique , volume 15, n°3, 2016, p.27-28.
  7. 1 Corinthiens 9.9 avec sa question rhétorique pour savoir si Dieu se met en peine des bœufs qui peut être si surprenante pour le lecteur occidental du 21e siècle (défenseur de la cause animale ou pas) peut nous instruire utilement sur l’écart entre notre lecture du texte et celle, normative, du Nouveau Testament. Sur ce texte (et sur la question de la souffrance animale), voir en particulier Henri Blocher, « L’évolution favorise-t-elle l’athéisme ? » dans De la Genèse au génome , Perspectives bibliques et scientifiques sur l’évolution, sous dir. Lydia Jaeger, Charols, Nogent-sur-Marne, Paris, Excelis, Éditions de l’Institut biblique, Groupes bibliques universitaires, coll. La Foi en Dialogue, 2011, p.139-142 (notamment la note 30).
  8. J’emprunte cette expression à Auguste Lecerf, « De l’impulsion donnée par le calvinisme à l’étude des sciences physiques et naturelles » dans
    Études calvinistes , Aix-en-Provence, Éditions Kerygma, 1999 (première édition 1949), p.123 : « Sans doute, l’autorité de l’Ecriture ne se limite-t-elle pas au dogme et à la vie spirituelle. Elle a son mot à dire dans toutes les sphères de la pensée et de l’activité humaine. Elle a une autorité principielle même en matière scientifique. » Cette manière de s’exprimer récuse l’idée d’une autonomie absolue de quelque domaine de la réalité par rapport à l’autorité de Dieu qui parle dans l’Écriture sans pour autant obliger à croire que la Bible parlerait de tout de façon directe ou quasi-directe. Elle fait droit à ce que l’Église catholique désigne avec l’expression peu heureuse d’« autonomie des réalités terrestres ». Sur cette notion, cf. Compendium de la doctrine sociale , op . cit ., n.46, p.25-26.
  9. Tout autre présupposé me semblerait pencher dans le sens du dualisme : il y a une partie de la réalité qui échappe à l’autorité de Dieu qui parle dans l’Écriture.
  10. Cf. « La Déclaration de Lausanne », dans Évangéliser, témoigner, s’engager , sous dir. Jean-Paul Rempp, Charols, Excelsis, 2017, §5, p.22.
  11. Le Petit Robert , Dictionnaire alphabétique & analogique de la langue française, par Paul Robert, rédaction dirigée par A. Rey et J. Rey-Debove, Paris, Dictionnaire le Robert, 1977, p.1381.
  12. L’article de Wikipédia sur la pauvreté peut donner un premier aperçu intéressant :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Pauvret%C3%A9 Page consultée le 15 mars 2019.
  13. Sur cette approche cf. Sylviane Guillaumond Jeanneney, L’aide au développement sous un regard chrétien , Paris, Salvator, 2018, p.69.
  14. Voir http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/international-migration/glossary/poverty/ Page consultée le 06 mars 2019.
  15. On touche du doigt ces problèmes en lisant l’article de Stéfan Lollivier, « La pauvreté : définitions et mesures », accessible sur
    https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-2-page-21.htm Page consultée le 06 mars 2019.
  16. Cf. Sylviane Guillaumond Jeanneney, L’aide au développement sous un regard chrétien , op . cit ., p.49.
  17. Aujourd’hui vivre avec moins de 1,90 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat.
  18. Cf. l’article de Stéfan Lollivier, « La pauvreté : définitions et mesures », art. cit.
  19. Blaise Pascal, « De l’esprit géométrique », section 1, dans De l’esprit géométrique, Entretien avec M. de Sacy, Écrits sur la grâce, et autres textes , introduction, notes, bibliographie et chronologie par André Clair, GF Flammarion 436, 1985, p.69.
  20. Sur ce sujet cf. les articles suivants : Samuel BÉnÉtreau, « ‘Ces plus petits de mes frères’. Étude de Matthieu 25.31-46 » dans Ichthus , 1970, n°8, p.21-27 et Pierre Marcel, « Frères et sœurs du Christ » dans La Revue Réformée , 1964/4, 15, p.18-30 et 1965/1, 16, p.12-26.
  21. Cf. Sylvain Romerowski, « Justice », dans Dictionnaire de théologie biblique , coll. Or, Charols, Excelsis, 2006, p.709-710. Je rajoute des guillemets en raison de ce qu’Auguste Lecerf appelait l’« anormalisme » de la vision biblique du monde : dans un monde déchu, on ne vit jamais vraiment « normalement ». Sur ce sujet cf. infra.
  22. Cf. Ron Sider, The Scandal of Evangelical Politics, Why are Christians Missing the Chance to Really Change the World? , Grand Rapids, BakerBooks, 2008, p.126.
  23. Cf. sur ce sujet Daniel Hillion, « Responsible Generosity » dans Evangelical Review of Theology , volume 37, n°1, Janvier 2013, p.43-45 où je renvoie à un texte de Saint Thomas d’Aquin ( Somme théologique , II-II, qu.32, art.6) et à l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum avec les distinctions sur deux sens différents du mots « nécessaire » et l’idée de vivre d’une manière qui convient à son état ainsi qu’à Auguste Lecerf, « Calvinisme et capitalisme », dans Études calvinistes , op . cit ., p.99-106, où Lecerf se réfère à la théorie aristotélicienne du droit analogique selon laquelle « chaque état de fortune ou de rang a ses exigences » (p.105).
  24. Cf. Jacques E. Blocher, « Le chrétien et l’argent » dans Les cahiers de l’Institut biblique de Nogent , n°159.
  25. Cf. les remarques de Sylviane Guillaumond Jeanneney, L’aide au développement sous un regard chrétien , op . cit ., p.49-50.
  26. Sur ce sujet, cf. l’excellent article d’Émile Nicole, « L’attitude à l’égard du pauvre dans l’Ancien Testament », dans Croquis de randonnées bibliques , Vaux-sur-Seine, Édifac, 2011, p.59-77, notamment, p.64-65. Il relève en particulier : la libération de l’esclave hébreu au bout de 6 ans (Exode 21.2) ; l’interdiction du prêt à intérêt (Exode 22.24) ; la protection de l’emprunteur contre certaines réclamations excessives du créancier (Deutéronome 24.6, 10-14) ; l’autorisation du glanage et du grappillage (Lévitique 19.9-10) ; la remise des dettes tous les 7 ans (Deutéronome 15.1-11) ; la loi du jubilé (Lévitique 25.8-17).
  27. Pour aller plus loin, on se reportera d’abord à l’article cité plus haut de Sylvain Romerowski (« Justice » dans Dictionnaire de théologie biblique , coll. OR, Charols, Excelsis, 2006, p.704-727). On pourra aussi consulter Andrew Hartropp, What is Economic Justice , Biblical and Secular Perspectives Contrasted , Milton Keynes, Colorado Springs, Hyderabad, Paternoster, 2007.
    J’ai commencé à faire quelques propositions dans plusieurs publications notamment Daniel Hillion, « Pauvreté et injustices : le Mouvement de Lausanne et la justice sociale » dans La Revue Réformée , n°286, 2018/2, tome LXIX, p.63-83.
  28. Sylvain Romerowski, dans « Justice », art. cit., étaie ce lien entre les notions de justice et de loi.
  29. Pour le mot « porte », le glossaire de la Bible à la Colombe indique : « C’est l’endroit où l’on rendait la justice et traitait des affaires, si bien que le mot peut servir à désigner les autorités elles-mêmes. »
  30. Sur ce sujet, cf. l’article éclairant d’Henri Blocher, « Loi, liberté et grâce. Quelle éthique proposer à la société civile ? », in Pour une éthique biblique, ouvrage collectif, Dossier Vivre n°22, Bevaix (Suisse), Imprimerie de Radio Réveil, 2004, p.9-33.
  31. Cf. Émile Nicole, « L’attitude à l’égard du pauvre dans l’Ancien Testament », art. cit., p.66-70.
  32. J’ai consulté ce commentaire en ligne, en traduction anglaise sur http://www.ccel.org/ccel/calvin/calcom05.ii.iv.ii.xv.html Page consultée le 20 mars 2019.
  33. Cf. Henri Blocher, « Un regard sur la théologie africaine », art. cit., p.27.
  34. Il est tentant de considérer les deux éléments de ce verset comme une synecdoque avec le soin de la veuve et de l’orphelin comme résumé de la face « positive » de la religion pure et sans tache et le fait de se garder du monde comme résumé de sa face « négative ». Que le souci des pauvres puisse jouer un tel rôle de résumé devrait nous faire réfléchir sur son importance.
  35. Sur les veuves dans le Nouveau Testament, voir aussi, entre autres, Marc 12.41-44 et Actes 9.39.
  36. Voici quelques références supplémentaires : Exode 22.20-23 ; Deutéronome 16.11, 14 ; 26.13 ; 27.19 ; Psaume 94.6 ; 146.9 ; Ésaïe 1.17, 23 ; 9.16 ; 10.2 ; Jérémie 7.5 ; 22.3 ; 49.11 ; Lamentations 5.3 ; Ézéchiel 22.7 ; Malachie 3.5.
  37. J’ai été amené à cette pensée par la lecture de Tim Chester, La responsabilité du chrétien face à la pauvreté , Quel équilibre entre évangélisation et travail social ?, trad. Annick Tchangang, Marne-la-Vallée, Farel, 2006, p.154. Voir tout le chapitre « Faire bon accueil aux exclus de la société », p.149-169.
  38. On rajoute parfois à cette triade la « consommation » finale. C’est ainsi que l’ Engagement du Cap parle de « l’histoire universelle de la création, de la chute, de la rédemption au cours des âges et de la nouvelle création ». Voir « L’Engagement du Cap » dans Évangéliser, témoigner, s’engager , op . cit ., première partie, 6, B, p.160.
  39. Cf. Auguste Lecerf, Du fondement et de la spécification de la connaissance religieuse , Aix-en-Provence, Édition Kerygma, 1999 (1ere ed. 1938), p.49.
  40. La Bible tire explicitement la conséquence de la grâce commune au thème de l’ amour de l’ennemi , mais la même logique peut s’appliquer à l’action envers le pauvre.
  41. Je comprends dans ce sens la promesse de l’Apocalypse d’après laquelle la gloire et l’honneur des nations seront apportés dans la nouvelle Jérusalem (21.24 et 26) : rien de ce qui est bon dans le monde présent ne sera perdu dans l’état final.
  42. « La déclaration de Lausanne » § 15 dans Évangéliser, témoigner, s’engager , op . cit ., p.29.
  43. Cf. Steve Corbett et Brian Fikkert, When Helping Hurts , How to Alleviate Poverty without Hurting the Poor… and Yourself, Chicago, Moody Publishers, 2009, 2012, p.123.
  44. Ibid ., p.109.
  45. TimChester, La responsabilité du chrétien face à la pauvreté , op . cit ., p.179.
  46. Cf. Le livre de Timothy Keller, Pour une vie juste et généreuse , Grâce de Dieu et pratique de la justice , Charols, Éditions Excelsis (sous la marque des éditions Farel), 2018, par exemple p.21-23.
  47. J’ai apprécié la finesse des explications du Pape Jean-Paul II dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis , n.35-37 et 46 et note 65. Je synthétise : une structure n’est pas sujet d’actes moraux, la responsabilité est celle des personnes, mais l’accumulation de péchés personnels leur donne une forme de consistance propre.
    http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_30121987_sollicitudo-rei-socialis.html Page consultée le 21 mars 2019.
  48. Cf. Les échanges dans la pièce de théâtre de Corentin et Rebecca Haldemann, Salomé Haldemann et Marie-Noëlle Yoder, Voyage vers la simplicité , Pièce en trois actes , Montbéliard, Éditions Mennonites, 2018, p.26.
  49. J’ai fait quelques propositions dans Daniel Hillion, « Relations, responsabilité, pauvreté : quelle éthique dans l’usage de l’argent aujourd’hui ? », dans Théologie Évangélique , volume 17, n°2, 2018, p.125-140. Ma solution théorique est largement inspirée par la pensée de Ron Sider, mais les conséquences pratiques que j’en tire sont sans doute quelque peu différentes de celles qu’il adopterait.

Sortie de Hokhma N°115

Couv_115_HokhmaNotre numéro 115 est sorti!

Consultez la table des matières via la couverture ci-jointe, découvrez un article complet : L’IVRAIE DANS LE MONDE – UNE PROTESTATION ANABAPTISTE, de Claude Baecher.

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Ou encore, consultez les recensions du numéro :

 

Bonne lecture à chacun!

 

Deux livres sur l’éducation chrétienne

GreeneAlbert E. Greene, à la reconquête de l’éducation chrétienne : une vision qui transforme, Saint-Louis, ACSI-Francophonie, 2013 – ISBN 978-2-918472-05-6 – 316 pages.

BussiereOuvrage collectif, Luc Bussière et al., Un espoir pour l’école : l’éducation chrétienne, une offre alternative, Charols, Excelsis et les éditions Farel, 2018 – ISBN 978-2-86314-479-4 – 150 pages – € 13.

Deux livres récents font le point sur l’éducation chrétienne.

Le premier est la traduction, par la branche francophone de l’ACSI (Association Internationale des écoles Chrétiennes) d’un ouvrage d’Albert Greene, Reclaiming the Future of Christian Education, publié en 1998. Albert Greene a commencé son ministère comme pasteur puis directeur d’école dans la région de Seattle. Après avoir complété ses études de théologie par un doctorat en science de l’éducation, Albert Greene a consacré la suite de son ministère d’enseignant et d’orateur au développement de l’éducation chrétienne.

Dans les deux premiers chapitres, l’auteur commence par poser les enjeux de la post-modernité et leur impact sur le domaine éducatif, avec une réflexion sur ce que pourraient être les bases d’une philosophie (comprendre « vision du monde ») chrétienne dans ce contexte. Plusieurs éléments sont soulignés, comme l’influence sur la pensée éducative occidentale de la philosophie des Lumières et le développement d’une anthropologie progressivement détachée de la vision chrétienne/biblique.

C’est surtout à partir de la deuxième moitié de l’ouvrage (à partir de la p. 167) que l’auteur développe les spécificités d’une éducation chrétienne. L’auteur reprend d’abord la centralité du concept d’alliance dans la Bible pour montrer ensuite que Dieu, le Dieu Créateur, est souverain sur tous les domaines de sa création. En ce sens, les matières scolaires et leurs contenus ne font que rendre compte de « l’expérience humaine » dans un monde créé par Dieu, et dans lequel Dieu se révèle. Un certain nombre de valeurs sont mises en avant en tant que valeurs caractéristiques d’une éducation chrétienne, notamment « la place de l’Amour dans l’apprentissage » (p.249) et l’accueil bienveillant de chaque enfant considéré comme créé à l’image de Dieu.

à cet ouvrage s’ajoute celui, plus récent, du collectif un espoir pour l’école. Cette fois ce sont divers auteurs impliqués dans l’éducation chrétienne dans le contexte français qui contribuent à la réflexion. Parmi eux on citera notamment Luc Bussière et Patrick Schmitt, respectivement co-fondateur et directeur de l’école Daniel à Guebwiller. Luc Bussière est président de l’Association des établissements Scolaires Protestants évangéliques Francophones (AESPF ou « Réseau Mathurin Cordier »). Cet ouvrage vient à point nommé dans une période où les écoles chrétiennes privées (hors contrat) se développent de plus en plus en France.

L’objectif de ce livre est de faire réfléchir le lecteur sur la légitimité biblique et la pertinence de l’éducation chrétienne aujourd’hui. Les différents auteurs abordent de façon synthétique des thèmes importants tels que : éducation et vision chrétienne du monde (R. Mewton) ; histoire de la relation église-école (L. Bussière) ; les fondements bibliques et théologiques de l’éducation chrétienne (J.-C. Huet) ; le triptyque église-famille-école comme pilier de l’éducation (L.-M. et J. Fillatre) ; réflexion sur la pertinence des écoles chrétiennes évangéliques aujourd’hui (L. Bussière) ; les principales objections et idées fausses concernant les écoles chrétiennes (R. Mewton) ; les spécificités d’une pédagogie chrétienne (P. Schmitt et M. Dufournet). Ce petit livre se termine par des considérations pratiques sur la création et la gestion d’une école privée hors contrat (D. Neuhaus) et des témoignages d’enseignants et de parents impliqués. Une bibliographie d’ouvrages en français, anglais et sites internet de référence vient clore le tout.

Ces deux livres sont des incontournables pour qui souhaite en savoir plus et réfléchir sur l’éducation chrétienne et ses enjeux aujourd’hui.

Michaël de Luca

Michael L. Satlow, Comment la bible est devenue sacrée

SatlowMichael L. Satlow, Comment la bible est devenue sacrée, (avec préface de Thomas Römer), Coll. « Le monde de la Bible » N73, Genève, Labor et Fides 2018 – ISBN 978-2-8309-1669-0 – 424 pages – € 29.

Michael Satlow est professeur d’études juives à l’Université Brown aux États-Unis et spécialiste de l’Ancien Testament.

Dans sa préface, l’auteur raconte comment, après sa bar-mitsva, il a tenté de lire la Bible qu’on lui avait offerte à cette occasion et comment il a été rebuté par la difficulté de cette lecture. D’où sa démarche de comprendre les tenants et les aboutissants de la Bible. D’emblée il énonce clairement qu’il considère la Bible comme un document humain imparfait, composé d’éléments disparates. Il fait siennes les théories critiques, souvent les plus minimalistes, sur l’histoire d’Israël et du texte biblique ; il les tient pour acquises, sans prendre le soin de les étayer ni de les confronter à d’autres approches, comme celle de Kitchen, par exemple, dont le nom ne figure pas dans les 25 pages de la bibliographie anglaise ni dans les 3 pages de bibliographie française rajoutées par Thomas Römer. Notons au passage que Michael Satlow m’a donné l’impression générale d’avoir davantage forgé ses allégations en se basant sur les recherches d’autres spécialistes, plutôt que sur un travail de recherche directe à partir de documents de première main, comme l’a fait par exemple K. Kitchen. Il est vrai que la matière traitée est vaste !

Pour Michael Satlow, la rédaction des premiers textes bibliques commence après 722 av. J.-C. (chute de Samarie), quand des scribes du royaume du nord, plus évolués que ceux Juda, trouvèrent refuge à Jérusalem et apportèrent leurs traditions et leur savoir-faire aux scribes d’Ézéchias. C’est en tout cas à partir de cette époque qu’on peut observer un développement littéraire en Juda. Dans les deux premiers chapitres, il refait l’histoire très hypothétique de la littérature biblique : les scribes du nord ont apporté un code de l’alliance et quelques traditions historiques sur Israël qui ont été fondues dans une perspective judéenne par les scribes d’Ézéchias et leurs successeurs. C’est pourquoi, dans l’histoire deutéronomiste qui en est le produit dérivé, Israël du nord a le mauvais rôle. Mais il insiste sur le fait que jusque là, les écrits étaient le fait d’une élite et que le peuple vivait une religion assez fruste, centrée sur les sacrifices et des oracles prophétiques donnés par les prophètes des temples (donc presque rien d’écrit).

Ensuite il étudie le période de l’Exil où, avec le trito-Ésaïe, émerge l’image d’un Dieu unique, puis l’époque perse au cours de laquelle les prêtres qui dirigeaient le Yehoud élaborèrent le Pentateuque dont la rédaction finale remonte à 200 av. J.-C.

Dès le chapitre 6, il aborde la période hellénistique pour passer en revue Qohéleth, le Siracide et 1 Hénoc. Pour lui, les auteurs de ces 3 ouvrages connaissent les textes bibliques, sans qu’on puisse dire s’ils se réfèrent à un texte écrit ou à une tradition orale ; c’est vrai surtout pour le Siracide, car 1 Hénoc dit qu’il a reproduit des livres se trouvant écrits dans le ciel.

Les chapitres 7 et 8 parlent des époques maccabéenne et hasmonéenne : le livre de Daniel et l’Apocalypse des animaux qui fut ajoutée à 1 Hénoc, reconnaissent une l’autorité à la Torah et à Jérémie ; mais pour Michael Satlow, ces livres bibliques n’étaient pas forcément accessibles à un large public ; c’étaient les prêtres qui les détenaient et pouvaient s’y référer. Le Rouleau du temple retrouvé à Qumrân et le livre des Jubilés témoignent qu’on peut reprendre le texte biblique librement. En fait, pour Michael Satlow, ce fut la traduction de la Bible en grec (Version des Septante) qui a contribué puissamment à donner à la Torah son statut de livre saint : il est devenu la loi des juifs et un livre divin qu’on a commencé à interpréter comme tel. La communauté de Qumrân, issue d’une dissidence des Sadducéens, est un témoin de cette évolution, puisque le texte biblique y est cité, puis expliqué par le Pesher.

Mais pour Michael Satlow, l’usage des écrits bibliques restait très limité, réservé à une élite de scribes et de prêtres. Il fallut attendre le 1er siècle apr. J.-C. pour voir se multiplier les synagogues en Palestine. C’est là, que sous l’influence des Sadducéens, on commença à commenter le texte biblique. Mais ce processus se fit très lentement ; et encore, les synagogues n’avaient pas toutes des rouleaux de la Torah, l’enseignement qu’on y donnait était très limité. Jésus, par exemple, n’avait d’après lui qu’une instruction religieuse sommaire et ne connaissait la Bible que de loin : il ne pouvait citer que quelques versets bibliques appris par cœur. Il enseignait surtout en paraboles et se voyait peut-être lui-même comme un « magicien » (sic – p. 372). Le même scepticisme se retrouve à propos des données bibliques sur Paul auquel il ne donne pas l’impression de comprendre grand-chose : par exemple, il qualifie d’alambiquée, (p. 293), son argumentation combattant la circoncision des païens. Mais il reconnait en lui en rabbin bien formé à Jérusalem, témoin que l’Écriture avait une autorité reconnue dans on milieu.

Aux Chapitres 13 et 14, quand il présente la littérature des deux premiers siècles, il met allègrement sur le même plan les Évangiles canoniques, les apocryphes, les textes gnostiques de Nag-Hamadi, Flavius Josèphe, Justin Martyre et Irénée de Lyon, présente leur approche divergente et ne peut par conséquent pas trouver chez eux une conception homogène des textes bibliques.

Au chapitre 15, on le sent plus à l’aise quand il aborde l’approche rabbinique des textes bibliques. J’ai trouvé stimulante, quoique pas totalement convaincante, son approche de l’opposition entre Rabbi Ishmaël et Rabbi Akiba vue comme les restes de l’opposition entre respectivement les Sadducéens, qui prenaient le texte biblique comme norme et le commentaient, et les Pharisiens qui se fiaient à la tradition des ancêtres. Le conflit se résolut par un compromis, après la révolte de Bar Kochba (135 apr. J.-C.) : les traditions pharisiennes devaient pouvoir fonder leurs traditions sur un texte biblique, ce que l’omnisignifiance des textes bibliques rendait possible (sur ces questions, voir mon article « Le Midrash : une source de la rhétorique biblique », dans Hokhma N°101). Cela amena donc les rabbins à reconnaître une autorité divine aux livres qui sont entrés dans le canon de la Bible hébraïque. Les Chrétiens attendirent le IVe s. pour faire de même – Michael Satlow ne parle pas du Canon de Muratori, au IIsiècle.

Je suis ressorti frustré de cette lecture : l’auteur aurait eu un sujet en or et d’une brûlante actualité. La question du canon qui est sous-jacente à cette problématique me semble rouverte aujourd’hui : la publication des livres canoniques de l’Église orthodoxe dans la TOB 2010 en est un signe ; et puis, dans les milieux évangéliques, le débat est aussi relancé, notamment par la mise au jour, dans la Bibliothèque de Qumrân, d’un texte hébreu de Jérémie ressemblant plus à celui de la LXX qu’au texte massorétique. Lequel est canonique ? Lequel choisir pour nos Bibles ? Il n’aborde pas cette question.

Sur le plan de la méthode, je reste aussi sur ma faim par rapport à son approche minimaliste : je peux parfaitement comprendre le côté scientifique qui dit qu’en cas d’absence de preuve, on se tait : « Passez, il n’y a rien à dire ! » ; mais il me semble problématique, voire paradoxal, de se servir de ces non-preuves comme preuves accréditant des reconstructions très hypothétiques de l’histoire, basées sur une critique littéraire sujette à des remises en question fondamentales.

Il m’apparaît aussi que, dans son traitement du sujet, Michael Satlow ne prend pas suffisamment en compte le phénomène de l’oralité. À l’époque du second Temple, mais probablement déjà plus tôt, Israël était fondamentalement une société d’oralité. Cela veut dire que tout une vie intellectuelle riche a pu se développer et atteindre des franges de la population plus larges qu’on ne l’imagine généralement. Ce travail oral n’a pas laissé de traces tangibles, sinon, après coup, sous la forme d’un résultat cristallisé, comme la Mishna – il est probable que si l’Église ne s’était pas implantée rapidement dans un milieu hellénistique, on n’aurait pas vu de Nouveau Testament au 1er siècle. Ne pas prendre en compte ce phénomène de l’oralité a pour conséquence qu’on ne tient pour acquis des faits qu’au moment où ils trouvent une forme écrite, alors qu’ils ont eu une réalité orale bien antérieure.

Dans la quatrième de couverture, les éditeurs sont conscients que les reconstructions historiques de Michael Satlow sont sujettes à débat. Ce livre a au moins le mérite de nous amener à réfléchir pour nous re-situer face aux textes fondateurs du Christianisme, du Judaïsme, des textes qui ont également modelé une partie importante de l’humanité.

Alain Décoppet

Thomas Krüger, Job

Job, Coll. Nouveau Testament commenté, Paris et Genève, Bayard et Labor et Fides 2018 – ISBN : 978-2-8309-1666-9 – 120 pages – € 21,90.

Thomas Krüger est professeur d’Ancien Testament et spécialiste des religions et langues orientales à l’Université de Zurich. C’est un exégète renommé dans les pays germanophones.

Le livre que nous présentons ici est l’adaptation française du commentaire de la Bible de Zurich. Il veut permettre à un large public de non spécialistes d’accéder aux connaissances générales nécessaires pour comprendre la Bible. Cette série de commentaires bibliques en français a été inaugurée par le « Nouveau Testament commenté » en un volume, suivi de deux commentaires, l’un sur la Genèse, l’autre sur l’Exode. L’objectif est de fournir au lecteur un bref commentaire dont la longueur n’excède pas celle du texte biblique. Comme dans chacun des ouvrages de cette collection, le commentaire est précédé d’une traduction intégrale du texte biblique, ici celui de la Nouvelle Bible Segond. En plus on trouve une fiche signalétique présentant succinctement le livre, des notices éclairant un point particulier du texte (par exemple la « nuit » dans Job), des références de passages bibliques parallèles, et enfin, des reproductions de documents archéologiques anciens, comme des sceaux, pour illustrer tel ou tel détail du texte biblique.

Le commentaire met les recherches récentes de l’exégèse historico-critique à la portée de ses lecteurs. Les autres approches ne sont pas discutées. Par exemple pour le chapitre 1, les versets 6-12 sont considérés comme un ajout au texte primitif. L’auteur final a voulu, par ce rajout faire ressortir pourquoi un homme aussi pieux que Job a été si sévèrement éprouvé. Mais il ne dit pas pourquoi un auteur original n’aurait pas pu faire ce qu’a fait le rédacteur final. Cela dit, pour un livre comme Job dont le message est intemporel, ces a priori sont secondaires : que le livre soit une fiction littéraire comme le pense le commentateur ou un récit poétique ayant un fond historique ne change rien à son message. Or le commentaire donne les bons éléments globaux, essentiels pour saisir le message de chaque chapitre et du livre entier. Signalons qu’on ne trouve pas ou peu de notes discutant la traduction ou des interprétations différentielles. Mais joint à une bonne Bible d’étude, ce commentaire dit l’essentiel, ce qui correspond bien à son but.

Deux petits regrets cependant : 1) que le texte poétique ne soit pas disposé en vers, mais que les hémistiches ne soient séparés que par une double barre oblique. 2) le manque d’une bibliographie, même sommaire, pour poursuivre l’étude.

Le livre de Job pose des questions essentielles et toujours actuelles, comme celle de la souffrance inexpliquée. Le mérite de ce petit commentaire est de nous faire comprendre qu’il faut se méfier des réponses toutes faites et qu’il est parfois plus sage de laisser la question ouverte, tout en faisant confiance à Dieu.

Alain Décoppet

Charles-Éric de Saint-Germain, Écrits philosophico-théologiques sur le Christianisme

StgermainCharles-Éric de Saint-Germain, Écrits philosophico-théologiques sur le Christianisme, Charols, Excelsis 2016 – ISBN : 978-2-7550-0293-5 – 266 pages – € 19.

Charles-Éric de Saint Germain est philosophe et théologien. Ancien élève de l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud-Lyon, il est agrégé et docteur en philosophie. Il enseigne la philosophie en classes préparatoires B/L (Lettres et Sciences sociales) à Nancy (Lycée Saint-Sigisbert), après avoir enseigné à l’université Lyon-III, à l’université de Nantes et chez les maristes à Lyon. Il est spécialiste de philosophie moderne. Il a publié plusieurs ouvrage de philosophie de grande technicité, notamment L’avènement de la vérité (L’Harmattan, 2003), Raison et Système chez Hegel (L’Harmattan, 2004), ainsi que les Cours particuliers de philosophie (en 2 tomes de près de 2000 pages aux éditions Ellipse, 2010 et 2011). Citons encore La défaite de la raison : essai sur la barbarie politico-morale, (Salvator 2015), etc.

L’ouvrage présenté ici est un recueil de diverses contributions de l’auteur sur des sujets variés où il fait le pont (dans les deux sens) entre la philosophie et une théologie qui tâche d’être fidèle à la révélation biblique.

Ce livre est resté trop longtemps sur mon bureau à attendre d’être recensé. Vu les antécédents de l’auteur, je m’attendais à un texte ardu et difficile, raison pour laquelle je l’ai mis de côté, renvoyant à une période où j’aurais plus de temps pour le lire à mon aise. J’ai été agréablement surpris : la pensée est clairement énoncée et se suit bien. L’auteur, bon pédagogue, prend la peine, au début de chaque chapitre, après avoir exposé la problématique, de nous donner un plan très clair de ce qu’il va dire, ce qui aide à bien suivre sa pensée. De plus le vocabulaire est généralement à la portée de n’importe quel lecteur cultivé.

Parmi les thèmes de chapitres, citons : Le christianisme et le plaisir ; les stades de l’existence chez Kierkegaard ; Aimer : sagesse ou folie ? Une réponse à Comte-Sponville sur le sens de l’espérance ; Peut-on être chrétien et franc-maçon ? La laïcité est-elle une religion ? Le droit et la violence ; Pascal et la Bible ; La prédestination ; etc.

Présenter chacun de ces chapitres n’entrerait pas dans le cadre de cette recension, mais d’une manière générale, on peut dire que l’auteur apporte, avec son regard de philosophe, une approche chrétienne pertinente et souvent perspicace des problèmes qu’il traite. À part la Bible, Calvin et Pascal sont souvent cités.

Par exemple, à propos de la notion de plaisir, il montre que la pensée grecque ignore la notion de péché : il faut simplement que ceux qui recherchent le plaisir le fasse avec mesure (maîtrise de soi). Mais alors que les grecs méprisaient le corps, « tombeau de l’âme », le christianisme primitif, religion de l’incarnation, lui a rendu toute sa dignité ; le mal peut venir de l’âme quand elle entraîne le corps dans le péché, mais sous la direction du Saint-Esprit, le corps peut connaître le plaisir. Saint-Augustin, influencé par le platonisme et le manichéisme a confondu la « chair » (au sens paulinien) avec le corps. Sa pensée dénigrant le plaisir du corps a marqué le christianisme jusqu’à peu. Par contrecoup, nos contemporains se sont livrés à toutes les transgressions pour jouir jusqu’à l’excès –puisque l’interdit pimente le plaisir – à tel point qu’on peut voir, à notre époque où a disparu tout idée de tabou, une « exténuation du désir », comme le dit Jean-Claude Guillebaud.

Dans « Aimer : sagesse ou folie ? », il bat en brèche l’amour passion qui confine à l’idolâtrie et à l’aliénation : « Ce que nous nommons amour d’ordinaire, c’est surtout une dépendance affective. » Mais pour que l’amour ne soit pas le besoin de remplir un vide pour se trouver soi-même (un amour centré sur soi), il doit reconnaître l’autre tel qu’il est, c’est-à-dire différent de soi. L’amour voulu par Dieu, dans la ligne de 1 Co 13, se donne pour enrichir l’autre ; il est un ordre, non pas un sentiment qui peut s’étioler et passer. Le commandement d’amour arrache l’homme à son égoïsme.

L’article sur christianisme et franc-maçonnerie met en évidence la différence inconciliable entre ces deux « religions » : la franc-maçonnerie en proposant fondamentalement une connaissance est dans la ligne du serpent qui poussa Ève à manger du fruit défendu pour être comme Dieu. Elle veut lever le voile pour connaître par soi-même ; à l’opposé, le christianisme confesse l’homme incapable par lui-même de connaître Dieu ; il faut que Dieu se révèle, et que l’homme reçoive cette révélation par la foi.

Dans sa réponse à Comte-Sponville sur l’espérance, Charles-Éric de Saint-Germain fait remarquer que la philosophie contemporaine, s’alignant souvent sur le bouddhisme, tend à fuir le désir, cause de désillusions, mais ce faisant, elle refuse l’espérance. Comte-Sponville défend cette idée du « gai-désespoir » ; « Seul est heureux celui qui a perdu tout espoir, car l’espoir est la plus grande torture qui soit, et le désespoir le plus grand bonheur », dit un sage hindou. Dans la vision chrétienne, l’espérance est liée à la foi et à l’amour, elle vient de l’Esprit-Saint qui en est la garantie. Notre espérance est basée sur quelque chose de concret que nous expérimentons déjà maintenant par le Saint-Esprit. Si ce n’est pas encore complètement réalisé, cela se réalisera pleinement un jour. Par ce que Calvin appelle le « témoignage intérieur du Saint-Esprit », nous avons l’assurance que ce qu’on espère n’est pas une illusion.

Je terminerai cette présentation par « La laïcité est-elle une religion ? », où l’auteur, par sa connaissance philosophique, nous aide à prendre du recul par rapport à ce thème brûlant, surtout en France. Il distingue fondamentalement deux formes de laïcité : l’une inspirée par Locke, vise une séparation de l’état et de la religion, sans ingérences mutuelles ; l’autre, inspirée par Rousseau, est une sorte de religion civique, où l’état, de peur de se voir concurrencer par une religion quelconque. demande une sorte de profession de foi civique pour s’assurer de l’allégeance des citoyens. Si la loi de séparation entre l’Église et l’État de 1905, en France, s’inspirait de Locke, on voit actuellement un très net glissement vers la religion civile de Rousseau (Charte de la laïcité de 2013). Celle-ci intime l’ordre aux citoyens de reporter la foi religieuse dans la sphère privée, afin de constituer le corps (public) de citoyens. Mais ce faisant, elle ne peut qu’instrumentaliser les religions pour qu’elles œuvrent au bien de l’État. La liberté de conscience est donc violée. L’école de la République vise à éradiquer les particularismes religieux pour les remplacer par les « valeurs de la République » – à la la page 161, il donne une citation de Ferdinand Buisson, très éloquente à ce sujet.

C’est un ouvrage très roboratif, qui nous aide à penser notre foi dans un monde influencé par toutes sortes de pensées dont la Bible n’est plus le fondement.

Alain Décoppet

Jean-Jacques Meylan, Maladie et guérison

Meylan

Jean-Jacques Meylan, Maladie et guérison sous le regard de Dieu, Le Mont-sur-Lausanne, Éd. Unixtus, 2018 – ISBN : 978-2-940619-00-9 – 128 pages – CHF 13,50.

Jean-Jacques Meylan, après une formation d’ingénieur en génie civil, a effectué des études à la Faculté de Théologie de Lausanne, puis exercé le ministère pastoral dans diverses Églises de la Fédération Romande d’Églises Évangéliques (FREE) et présidé pendant plusieurs années la Communauté des Églises Chrétiennes dans le Canton de Vaud. Son livre Maladie et guérison est bienvenu, car il permet de faire le point sur une question sensible, à laquelle chacun de nous se trouve confronté, au moins indirectement, et qui peut le toucher jusqu’au plus profond de lui-même.

L’auteur commence par présenter l’enseignement biblique de base sur la maladie : celle-ci est le résultat global du péché, ce qui ne veut pas dire qu’une maladie donnée est forcément due à un péché particulier. Dieu a voulu une création bonne, mais le péché à rompu cette harmonie. L’Ancien Testament présente Dieu comme celui qui guérit (Ex 15,26). Jésus est venu rendre témoignage à cette volonté divine en annonçant le Royaume, chassant les démons et guérissant les malades. Après lui ses disciples ont poursuivi cette proclamation.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Les guérisons font-elles encore partie de la proclamation de l’Évangile ? Jean-Jacques Meylan le pense et il donne tout une série de témoignages de personnes guéries miraculeusement. Cela n’empêche pas Dieu aussi de guérir par des médecins.

Mais s’il y a des guérisons, il y a aussi des personnes qui sont appelées à témoigner de la grâce de Dieu à travers la maladie ou le handicap. Il donne plusieurs témoignages actuels connus comme ceux de Joni Eareckson, de Nick Vujicik, Henriette Cheveaux, etc., des personnes qui dans la souffrance ont trouvé un sens à leur vie dans la communion avec Christ. Ce sont de très beaux témoignages parmi lesquels il convient de noter celui de Michel Karlen qui souffre d’une maladie peu décelable au premier abord : pas facile à vivre quand les autres ne reconnaissent pas votre handicap, voire pensent que vous jouez la comédie et profitez de la société…

À partir de la page 59, l’auteur aborde la partie théologique de son ouvrage : le but de l’existence humaine est la gloire de Dieu. Celle-ci peut se manifester dans la puissance, mais aussi dans l’abaissement de la croix, un thème important dans l’Évangile de Jean : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui » (Jn 13,31). Le sacrifice de Jésus sur la croix a souvent choqué, voire scandalisé. Comment un Dieu d’amour a-t-il pu vouloir cela ? Pour Jean-Jacqques Meylan, il est important de saisir l’implication des trois personnes de la Trinité dans l’œuvre du salut. Dieu a donné son Fils qui s’est incarné par le Saint-Esprit. Dieu était en Christ à la croix. Cet abaissement de Dieu tout entier en Jésus est une révélation que rejettent toutes les autres religions humaines, y compris, en tout cas dans leur pratique, les chrétiens adeptes de la théologie de la prospérité. En Jésus, Dieu a voulu sauver l’humanité de l’intérieur en participant à sa souffrance. A l’instar de Job dans l’Ancien Testament, Jésus nous ouvre à une vie d’amour gratuit pour Dieu sans que cet amour soit lié aux bienfaits divins. Marie, Jésus et Paul ont dit « oui » à Dieu alors qu’il leur proposait un chemin difficile, qu’ils n’auraient pas choisi. Le consentement que Dieu nous demande dans nos épreuves, n’est pas de renoncer au désir comme dans le Bouddhisme, mais d’accepter la situation, de « laisser Dieu être Dieu en nous, … choisir ce que nous n’avons pas choisi, en nous appuyant sur l’amour de Dieu… (Cette acceptation) permet d’acquérir une liberté intérieure… Même lorsque la liberté extérieure se trouve entravée ». (p. 84).

Jean-Jacques Meylan attire notre attention sur le fait que dans les Évangiles, les récits de miracles sont souvent mêlés à des controverses, ce qui montre qu’ils visent à nous faire aller plus loin: À la p. 95, il remarque que le mot hébreu pour maladie a la même racine que « ronde, cercle » : « Guérir, c’est sortir du cercle », pas forcément par la guérison physique, (cela sera à l’avènement du Christ), mais en faisant confiance et en obéissant à la parole de Jésus, comme l’aveugle allant à Siloé.

L’auteur termine sa présentation par le tableaux de la passion de Jésus qui reste un homme digne, (« voici l’homme! » Jn 19,5), malgré les coups, les insultes, la croix… Dieu a mis son sceau sur l’œuvre et la personne de Jésus en le ressuscitant.

Trois annexes contenant de très beaux extraits du journal d’Etty Hillesum, un poème de Christian Glardon et une prière de Pierre-Yves Zwahlen, permettent de poursuivre la réflexion.

J’ai beaucoup aimé ce livre qui, sans remettre en cause la guérison divine, aidera tous ceux qui, n’étant pas guéris maintenant, cherchent à trouver un sens chrétien à la présence de la souffrance dans leur vie. Un livre équilibré, destiné à un large public. À recommander !

Alain Décoppet

L’autre Dieu ? Recension critique à deux voix


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Par Gérard PELLA (pasteur réformé, Attalens, Suisse) et Yvon KULL (chanoine de la congrégation religieuse du Grand-Saint-Bernard, Martigny, Suisse)

Autre_DieuPartant d’une expérience personnelle – l’angoisse au chevet de son fils gravement malade – Marion Muller-Colard remet en question sa compréhension d’un Dieu censé nous protéger de toute menace. De son ministère pastoral en milieu hospitalier, « elle retient la plainte de patients soudain privés des repères d’un Dieu avec lequel ils croyaient pourtant avoir passé un contrat. (…) Au-delà de la plainte et de la menace, Marion Muller-Colard fait miroiter la grâce dans ce texte très incarné, composé pour tout lecteur en recherche d’une pensée théologique originale, accessible et exigeante. »1

Couronné du Prix Spiritualités d’Aujourd’hui et du Prix Ecritures & Spiritualités en 2015, le livre de Marion Muller-Colard a été reçu avec enthousiasme par la plupart des lecteurs. Il faut donc beaucoup de témérité pour oser écrire un écho critique, comme nous allons le faire. Avant cela, soulignons les aspects positifs de cet ouvrage :

  • son style très soigné. Marion Muller-Colard a trouvé des formules magnifiques pour exprimer sa pensée. Les extraits que nous allons citer en donneront un aperçu.
  • sa dénonciation d’un Dieu contractuel, censé nous protéger si nous respectons notre part du contrat : « Job a perdu la confiance en ce Dieu contractuel qui protégeait sa vie » (p. 52) ; « la piété ne protège de rien » (p. 55).
  • sa grande authenticité. Marion Muller-Colard ne cache pas sa détresse et ses tâtonnements : « Fâchée avec mon Dieu imaginaire qui avait rompu sans préavis mon contrat inconscient de protection, je manquais de secours spirituel. Je ne trouvais pas de prière qui puisse être autre chose qu’une immense contradiction, une négociation régressive avec la peau morte d’un Dieu qui ne tenait pas » (p. 82).
  • une articulation réussie entre autobiographie et réflexion théologique. L’auteure nous permet de comprendre comment la maladie de son fils a remis en cause sa théologie : « Pour ma part, j’avais perdu l’insouciance. Et cela revient à dire que j’avais moi aussi perdu la sécurité de l’enclos. Comme Job, je ne pouvais plus compter sur ce Dieu gardien que j’avais désigné plus ou moins consciemment » (p. 53).
  • une compréhension de la foi qui se manifeste comme une relation et non comme un système de croyances. Sa parole à Job est probablement le centre de sa thèse. Job s’écrie « Je sais bien, moi, que mon Défenseur ( goël ) est vivant, que le dernier, il surgira de la poussière (Jb 9,24) ». Et Marion Muller-Colard lui répond: « Voilà, mon ami Job. Tu tiens dans ta main la peau morte d’un Dieu que tu avais mandaté pour garder ton enclos. Mais tu sais, à présent, que ton Rédempteur est vivant. Ton goël , ton avocat, ton défenseur. Celui qui ne défend pas ton enclos mais ta quête d’un autre Dieu, celui qui mettra au monde avec toi une autre foi, qui t’accouchera d’une autre confiance. Tu passes d’une religiosité enfantine à une foi d’adulte, tu passes d’un système à une relation. Tu as perdu un Dieu fonctionnel qui s’est avéré, de surcroît, ne pas bien fonctionner. Tu as trouvé un Dieu vivant, qui t’échappe et que tu cherches » (p. 77).
  • son émerveillement devant la vie. La prise de conscience de Marion Muller-Colard au chevet de son fils gravement malade est probablement le cœur de son expérience spirituelle : « La détresse m’avait dilatée et, en quelque sorte, elle avait élargi ma surface d’échange avec la vie. Et près de ce petit corps, se superposait à ma supplication muette pour qu’il vive, la conviction profonde que, quoi qu’il arrive , ce qui était incroyable et sublime, c’était qu’il fût né. Et que cela, jamais, ne pourrait être retiré à quiconque. Ni à lui, ni à moi, ni au monde, ni à l’histoire » (p. 82).

Pourquoi donc – devant tant de merveilles – risquer une critique ? Parce que nous avons l’impression désagréable que Marion Muller-Colard, dans sa quête d’une foi adulte, abandonne plusieurs points forts de la foi chrétienne.


Le Dieu berger

Certes, nous ne pouvons pas demander à Dieu de nous protéger en échange de notre fidélité. Nous connaissons tous des exemples de croyants durement éprouvés, à commencer par Jésus !

Certes, il n’y a pas d’enclos – un terme central dans ce livre – qui nous garantirait contre les menaces de la maladie ou du malheur. Il n’y a pas d’enclos… mais il y a un Berger, qui nous accompagne jusque dans « un ravin d’ombre et de mort » (Ps 23,4). Même là, « je ne crains aucun mal car tu es avec moi » ( ibid. ).

Cette foi biblique contraste avec le constat désabusé de Marion Muller-Colard : « Rien de ce qui arrive à mon vieux frère Job, à mon fils, aux milliers d’humains sur qui s’abat un violent malheur, aucune maladie de ceux à qui j’ai rendu visite, aucun accident n’est injuste. Cela voudrait dire qu’il existe un enclos et un Gardien à cet enclos » (p. 74).

On rétorquera peut-être que l’image de Dieu comme Berger appartient à l’Ancien Testament. Notons pourtant qu’elle nourrit encore la foi de Jésus2
, de Paul3
ou de Pierre4
. La Bible ne nous garantit pas une protection contre tous les dangers mais elle nous promet une Présence dans toutes les circonstances, même les plus douloureuses ou les plus décapantes. Le bon Berger n’abandonne pas ses brebis.


La résurrection

Marion Muller-Colard a trouvé « une foi sans filet dogmatique » (p. 107). Elle savoure la vie et ne s’intéresse pas à une quelconque « espérance eschatologique » (p. 93). «  Quoiqu’il m’arrive, il est juste et bon que le monde soit, il est juste et bon que je participe, de façon tout à fait éphémère, à quelque chose de plus grand que moi. Et que ma marche fragile prenne appui sur la solidité des montagnes qui me survivront longtemps encore » (p. 107).

Dieu sait que j’apprécie énormément les montagnes ! J’organise depuis 1990 des semaines « Montagne et Foi » avec beaucoup de joie. Mais les montagnes ne me donnent aucun réconfort face à la vulnérabilité et à la mort… L’espérance chrétienne est ailleurs, dans le Christ ressuscité qui nous a ouvert le chemin de la résurrection. Notre vie n’est pas seulement éphémère ; elle est promise à la vie éternelle. Bien entendu, Marion Muller-Colard est libre de croire autrement mais cette foi ne ressemble alors plus vraiment à la foi chrétienne. L’apôtre Paul est formel : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vide et vide aussi votre foi » (1 Co 15,13-14).


L’action de Dieu et l’espérance

Dans son cheminement spirituel, Marion Muller-Colard abandonne toute croyance en une protection de Dieu mais elle continue à croire en Dieu comme Créateur : « Pour le monde comme pour chacun, ce Dieu indifférent à mes comptabilités avait proclamé : ‘Que la lumière soit !’ Et la lumière s’était faite sur la terre. Elle s’était faite sur mon fils, sur chacun d’entre nous, petits êtres vulnérables…» (p. 89).

L’action de Dieu semble se borner pour Marion Muller-Colard à cette œuvre créatrice. Pour le reste, c’est à nous d’agir : « J’ai entrevu un Autre Dieu qui ne se porte pas garant de ma sécurité mais de la pugnacité du vivant à laquelle il m’invite à participer » (p. 93).

« Quoi qu’il arrive, réjouis-toi que le soleil, chaque matin se lève sur le monde et invite tous les désespérés à brandir avec lui une opposition inconditionnelle à la nuit. Respire, prends courage, ouvre tes volets. Tant qu’il fait jour, travaille aux œuvres de celui qui a créé la vie » (p. 101).

J’ai beau lire et relire le chapitre intitulé « La Grâce », Dieu semble se borner à donner la vie ; il semble s’être retiré de l’histoire du monde… et c’est à nous de prendre le relais. Aurions-nous affaire ici à une forme de déisme ?5
Ou peut-être de stoïcisme ?6

On est à mille lieues des évangiles, qui nous ouvrent à l’espérance en nous donnant à voir l’action de Dieu parmi les humains, dans la personne de Jésus. Les Actes des Apôtres montrent à leur tour que Jésus continue d’agir parmi nous. La foi chrétienne articule magnifiquement l’action de Dieu et l’action des humains : « Si nous peinons et si nous combattons, c’est que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, qui est le Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants » (1 ™ 4,10).

Nous ne sommes pas abandonnés à nos propres ressources ! Et nous pouvons prendre appui sur la fidélité de Dieu, la résurrection du Christ et le dynamisme de l’Esprit plutôt que sur le soleil et les montagnes.

Quand les montagnes s’en iraient,
quand les collines vacilleraient,

ma fidélité envers toi ne s’en ira pas,

et mon alliance de paix ne vacillera pas,

dit le SEIGNEUR, qui a compassion de toi

(Es 54,10).

* * *

Marion Muller-Colard nous offre une relecture très personnelle du livre de Job. Risquons-nous à en proposer une autre !

Une autre lecture de Job
J’entends plusieurs niveaux de réponse au problème du mal et de la souffrance dans le livre de Job :

– les « discours » des amis de Job sont enfermés dans une stricte logique de la rétribution : « si tu souffres, c’est que tu as péché ». Je rejoins Marion Muller-Colard pour remettre en cause cette logique. Un simple système rétributif, donnant-donnant, ne parvient pas à rendre compte de la complexité du réel
7
– les « discours » de Job
protestent à la fois contre les accusations lancées par ses amis et contre les souffrances qui l’accablent. « C’est trop injuste !!! » Marion Muller-Colard abandonne toute idée de justice immanente (p. 71) mais Job continue à crier que ce n’est pas juste (voir par exemple sa « protestation d’innocence » au chap. 31).

Job n’a pas de réponse au problème du mal mais il continue à croire qu’il doit y avoir « quelque part » une justice et un « défenseur » (9,24). Et Job a raison de trouver que c’est injuste ! Cette protestation n’a rien d’une « religiosité enfantine ». Je note que le SEIGNEUR, à la fin du livre, lui donnera raison (42,7) : « Vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job ».

– les « discours » de Dieu
questionnent Job et l’amènent à reconnaître qu’il n’est pas en situation de se poser en juge : « Veux-tu vraiment casser mon jugement, me condamner pour te justifier ? » (40,7).

Marion Muller-Colard interprète les nombreuses allusions à la nature comme une invitation à y puiser le courage de vivre : « Mais je réappris ce jour-là avec lui la réponse de Dieu à Job : s’il n’existe aucun système explicatif du mal, aucun dogme ni grigri qui fassent l’économie de notre vulnérabilité, il existe la solidité des montagnes, la fidélité des paysages, le foisonnement végétal qui redonne fidèlement ses fruits chaque saison. Et nous pouvons appuyer les petits pas de notre marche précaire sur la stabilité du minéral et le renouvellement du vivant » (p. 95). On comprend qu’une amie lui adresse cette remarque pertinente: « Tu crois en la Nature comme en un Dieu » (p. 99).

J’entends plutôt les chapitres 38 à 41 comme des défis que le SEIGNEUR lance à Job pour lui montrer qu’il n’est pas en position de saisir toute la complexité du monde :

« Où est-ce que tu étais quand je fondais la terre ? » (38,4)

« Es-tu parvenu jusqu’aux sources de la mer ? (38,16)

« Est-ce toi qui donnes au cheval la bravoure ? » (39,19)

Et Job comprend le message : « Je ne fais pas le poids, que te répliquerai-je ? » (40,4).

Pourquoi Marion Muller-Colard interprète-t-elle ces chapitres dans le sens d’une célébration de la nature – sur laquelle je peux prendre appui – plutôt que du respect du mystère ? Là encore, Job a compris le message :

« Qui est celui qui dénigre la providence sans y rien connaître ? Eh oui ! J’ai abordé, sans le savoir, des mystères qui me confondent » (42,3).

La présence de Dieu dans la souffrance est effectivement de l’ordre du mystère. Nous y reviendrons.


– le prologue
(en prose) nous permet d’entrevoir que la souffrance de Job n’est ni injuste ni absurde. On y découvre une toute autre logique que celle de la rétribution. Dans ce mystérieux dialogue entre le SEIGNEUR et l’Adversaire, Job n’apparaît pas comme un coupable qui mériterait de souffrir mais comme un juste qui reçoit – sans le savoir – la mission de répondre au défi de l’Adversaire : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas protégé d’un enclos, lui, sa maison, et tout ce qu’il possède ? » (1,9).

L’action de l’Adversaire n’est pas une explication globale du problème du mal mais c’est un des éléments de réponse à ne pas négliger. Jésus y fait allusion dans la parabole de l’ivraie et du bon grain. Aux serviteurs qui l’interrogent : « Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ? », le maître répond : « C’est un ennemi qui a fait cela » (Mt 13,27-28).

Notons cependant que Job ignore tout de ce dialogue céleste. Rester fidèle à Dieu même quand je ne comprends plus ce qui m’arrive – même quand l’enclos est renversé – est le défi que rencontrent tous les persécutés, voire tous les souffrants. La présence de la souffrance n’indique pas l’absence de tout enclos et de toute justice. Même si je ne parviens pas à comprendre, je peux continuer à croire que le SEIGNEUR veille sur nous8
.

Gérard Pella, pasteur réformé, Attalens.

Le vrai visage de Dieu
Je tiens tout d’abord à souligner que j’adhère en tout point à la critique « positive » de Gérard Pella. Mais si je suis plein d’admiration devant les aspects positifs du livre de Marion Muller-Colard, je constate moi aussi que cette théologienne protestante a bel et bien jeté le bébé avec l’eau du bain. A la critique « négative » de Gérard Pella, à laquelle je souscris entièrement, et toujours dans un esprit de « dialogue », je me permets d’ajouter les considérations suivantes.
Quand elle parle de l’Autre Dieu, Marion Muller-Colard nous donne à penser que nous allons découvrir, au-delà des fausses images de Dieu, le vrai visage de Dieu. Mais quel théologien pourrait prétendre parler du Vrai Visage de Dieu à partir du seul livre de Job – ou même à partir de l’Ancien Testament seulement ?

L’Autre Dieu, le vrai Dieu, le « seul vrai Dieu » (Jn 17,3), c’est celui qui s’est révélé en son Verbe fait chair. On ne peut parler de cet Autre Dieu – le Vrai – qu’à partir de celui qui est « resplendissement de sa gloire et expression de son être » (He 1,3 ; cf. Jn 1,18 ; 14,9). Or tout ceci est totalement absent de la pensée théologique de Marion Muller-Colard. Si cette pensée théologique semble « originale », elle n’est pas authentiquement chrétienne puisqu’à aucun moment on ne voit cette pensée fondée sur la révélation du Vrai Dieu en son Verbe incarné. Cette lacune rejaillit sur la manière d’aborder le mystère du mal. Il est absolument impossible de parler du Vrai Dieu dans sa relation au mystère du mal en dehors du mystère de la passion et de la croix du Christ :

  • la passion et la croix nous révèlent que Dieu n’est pas l’auteur du mal mais qu’il en est la première victime !
  • la passion « visible » du Fils révèle la compassion « invisible » du Père.
  • de plus, dans son agonie à Gethsémani et dans sa mort sur la croix, Jésus révèle qu’en lui Dieu « épouse » notre condition humaine déchue avec toutes ses conséquences. Dieu nous a créés pour nous « épouser ». Quand sa fiancée s’est retrouvée « défigurée », vouée à la déréliction et à la mort, Dieu n’a pas abandonné son projet. En son Fils, il est venu nous rejoindre en « enfer » et il est venu nous « épouser » sur la croix dans notre condition de damnés. « Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5,21).

La véritable profondeur du mal, telle qu’elle apparaît dans la passion et dans la mort de Jésus-Christ, est totalement absente du livre de Marion Muller-Colard, qui semble bien ignorer la nature même du péché. Et par conséquent la véritable profondeur de l’amour de Dieu, qui vient nous rejoindre en « enfer », est totalement absente de son livre elle aussi. Il est impossible de parler du Vrai Dieu en relation avec le mystère du mal en se contentant du livre de Job.

L’Autre Dieu
de Marion Muller-Colard ne ressemble pas vraiment au Dieu de Jésus-Christ, le seul vrai Dieu. Voilà ce qu’un chrétien doit avoir le courage d’affirmer. Comprenez-moi bien : je ne veux forcer personne à partager ma foi chrétienne… mais je trouverais malhonnête que quelqu’un mette du Goron dans une bouteille étiquetée « Cornalin » !
9

Yvon Kull, Martigny, chanoine de la congrégation religieuse du Grand-Saint-Bernard, auteur du livre
Revisiter l’enfer ou comment devenir immortel, Editions Parole et Silence, 2017.

  1. Présentation de L’Autre Dieu. La Plainte, la Menace et la Grâce, en 4ème page de couverture. L’Autre Dieu a été publié en 2014 par les éditions Labor et Fides, dans la collection Spiritualité.
  2. « Ne vous inquiétez pas pour votre vie (…) Il sait bien, votre Père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. (…) Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain » (Mt 6,25-34).
  3. « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? (…) Non ! Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, manifesté en Jésus Christ, notre Seigneur » (Rm 8,35-39).
  4. « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous » (1 P 5,7).
  5. « Kant lui-même donne une définition du déiste, qu’il distingue du théiste. Pour lui, le déiste admet l’existence d’un « être primitif » qui est « toute réalité », mais il renonce à le définir davantage ; au contraire, le théiste tient qu’on peut déterminer davantage « cet objet de pensée » et affirmer qu’il est « le principe premier de toutes choses ». À quelque degré, l’usage philosophique a retenu cette distinction : le déisme équivaut à une croyance en Dieu qui reste volontairement imprécise, par refus soit de l’enseignement des Églises, soit des prétentions de la métaphysique ; le théisme accorde à la raison le pouvoir de démontrer l’existence de Dieu et de déterminer sa nature créatrice par analogie avec la nature créée. Avec le recul du temps, on aperçoit que le déisme fut en réalité une étape vers l’athéisme, ce qui n’en supprime ni la modération ni la sincérité ». Henry Duméry dans Universalis.edu.
  6.   « La différence entre le christianisme et le stoïcisme tient en un seul mot. Péguy appelait ce mot la petite fille de rien du tout qui est venue au monde le jour de Noël : l’espérance. Elle est évoquée dans un passage de l’épître aux Romains qui dit que la création est soumise à la vanité, elle soupire et souffre les douleurs de l’enfantement (Rm 8,18-25). Ce passage affirme la réalité du mal : la création est dans la douleur, le monde n’est pas achevé, il est habité par la présence du mal. La mort d’un enfant, les tremblements de terre et la cécité des mendiants relèvent de cette réalité du mal. Il ne faut pas les assimiler à la volonté de Dieu mais les imputer à l’inachèvement de la création. Dans ce passage, Paul ne confond pas la volonté de Dieu avec le réel comme le font les stoïciens. La volonté de Dieu, c’est le royaume alors que le réel révèle un monde traversé par les forces du mal. Si Paul dit que la création souffre, il ajoute qu’elle soupire, qu’elle attend, qu’elle est tendue vers une libération à venir. Au nom du principe d’espérance, nous ne sommes pas invités à nous résigner au mal, mais à attendre ce qu’il appelle la glorieuse liberté des enfants de Dieu ». Antoine Nouis, L’aujourd’hui de l’Évangile , Lyon, Réveil Publications, 2003, p. 309.
  7. Il serait excessif de supprimer pour autant toute notion de rétribution de la théologie biblique. Même l’apôtre Paul, dans une épître aussi libératrice que celle qu’il adresse aux Galates, ose s’écrier : « Ne vous faites pas d’illusion : Dieu ne se laisse pas narguer ; car ce que l’homme sème, il le récoltera » (Ga 6,7). Voir aussi l’article d’Henri Blocher, « Justice rétributive et théologie », Hokhma N°110/2016, pp. 69-85.
  8. J’ai approfondi cette question dans plusieurs articles : « Gémissements et espérance », Hokhma No 88/2005 ; « Puis-je donner un sens aux souffrances ? », Hokhma No 95/2009 ; « Démuni, ouvert et confiant », Hokhma No 98/2010. Voir aussi : J.D. Searle et C.H. Gobat, « Dieu veut-il la souffrance ? », Hokhma No 85/2004 ; Shafique Keshavjee, « Gémissements et espérance », Hokhma No 110/2016.
  9. Note de l’éditeur : le Cornalin du Valais est un cépage suisse renommé.

L’IVRAIE DANS LE MONDE – UNE PROTESTATION ANABAPTISTE


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Ivraie

Cet exposé comprend deux parties principales, l’une en forme d’analyse de la parabole de l’ivraie et du bon grain (Mt 13, 24-30 et 36-43), avec les difficultés et les enjeux de l’interprétation qui y sont liés, et l’autre qui livre un commentaire de l’anabaptiste Pilgram Marpeck sur cette même parabole.

Relevons les éléments de la parabole ainsi que son explication livrée par Matthieu et évoquons des éléments de l’histoire de son interprétation des débuts de la Réforme.

I. LA PARABOLE ET DE SON EXPLICATION

Je me souviens dans mon enfance de cette vision de champs de blés piqués de coquelicots et de bleuets, avant que l’agriculture moderne ne fasse usage de la chimie sélective aux effets aujourd’hui controversés… La « mauvaise herbe », c’est ce que les agriculteurs redoutent. De nos jours, nous luttons contre la monoculture et la vision de ces fleurs autrefois indésirables nous réjouit plutôt, ce qui n’était certainement pas le cas du temps de Jésus avec la plante appelée l’ivraie… La mauvaise graine en question, porte le nom révélateur de zizania  ; c’est le mot qui a donné le terme français de zizanie , en lien avec la discorde. Le diabolos, nous précise le texte, est l’ennemi qui a semé cette mauvaise graine et le champ dont parle Jésus c’est le monde (Mt 13,38). La situation à laquelle se réfère Jésus est une situation de confusion introduite par le père du mensonge qui est meurtrier. Bien malin durant ce temps qui sait démêler le vrai du faux, le mal du bien. Au-delà de ce constat, cette parabole reste empreinte d’espérance, car c’est un Dieu d’amour qui ne peut supporter le mal sous toutes ses formes, qui reste aux commandes. Cette conviction fondamentale fait partie de la joie d’anticipation de toute vie de disciple du Christ. Cette parabole décrit adéquatement l’attente de l’intervention divine ainsi que la démarche prescrite aux disciples par le Maitre, et donc s’inscrit dans l’eschatologie chrétienne.

L’ordre central, a priori surprenant pour les disciples est : « Laissez l’un et l’autre croitre ensemble jusqu’à la moisson ! » (13,30). Trois raisons sont avancées pour que les disciples comprennent le bien fondé de cet ordre :

1. le tri se fera à la « moisson » seulement,

2. le risque d’anticiper le tri met en péril le bon grain, et enfin

3. ce sont d’autres serviteurs qui s’en chargeront.

Le commentaire de l’anabaptiste Marpeck en ajoutera une autre : laisser ouverte la possibilité d’un changement d’attitude.

1. La mauvaise herbe doit à terme, « à la fin de l’ère », précise Matthieu (13,39-40), être rassemblée, puis brulée et le bon blé rassemblé lui aussi dans le Royaume. Ce terme ce ne sont pas les disciples qui le fixent, mais le propriétaire du champ. L’ivraie sera donc détruite à terme. Elle n’est pas récupérable dans le projet divin, bien que, comme le blé, elle fasse partie de la famille des graminées. De plus – mais le texte ne le dit pas explicitement – elle ne doit pas ensemencer la récolte future. La différence entre l’ivraie et le blé n’apparait nettement en fait qu’à la moisson. Le blé lui, est semé par le Seigneur (v. 27), appelé aussi « le fils de l’homme » (v. 37) et l’ivraie, par l’ennemi (grec. echtros , v. 25 et 29) appelé aussi le diable (v. 39).

2. On ne peut faire le tri avant ce terme et lutter contre l’ivraie en la déracinant, car, nous précise l’Évangile, on arracherait le bon grain. Les racines sont entremêlées. La particularité de cette graine est qu’il est très difficile, avant que le fruit ne révèle vraiment sa nature, de distinguer sa plante de celle du blé. Elle a été semée dit l’Évangile « pendant que les hommes dormaient », pendant que ces derniers n’étaient pas vigilants. L’ivraie représente les personnes caractérisées par des comportements qui font « scandale » (« causes de chute », selon la NBS ou qui « incitent les autres à pécher », selon Semeur 2000) et commettent « des actes d’iniquités » (13,41). On se rappelle ici que dans la parabole qui précède, dite du semeur, on retrouve parmi les auditeurs de Jésus, celui qui reçoit la Parole dans les épines, et pour lequel « le souci du monde et la séduction des richesses étouffent la Parole, et il reste sans fruit » (13,22). La peur et l’égoïsme dominent dans ce cas et empêchent une maturité du fruit digne du royaume. Ce contexte semble se rapprocher de celui de l’ivraie.

3. Les disciples à Jésus demandent à Jésus, et sans doute est-ce caractéristique de la nature humaine inquiète devant l’évidence du mal : « veux-tu que nous recueillions ou ramassions l’ivraie » ? Et la réponse surprenante est : « laissez-les croitre ensemble… de peur de déraciner le bon blé… jusqu’à la moisson ». C’est le maitre de la moisson qui donnera le signal du tri final avec du personnel particulier. Alors il dira à une autre catégorie de serviteurs de les ramasser pour les bruler. Ces derniers sont appelés les « moissonneurs » (v. 30), également « les anges (du fils de l’homme) » (v. 41). L’effet final précisé est que la confusion disparaitra, les « justes resplendiront comme le soleil… dans le Royaume de leur Père » (v. 43, avec une possible allusion à Juges 5,31, la fin du cantique de Débora et de Baraq).

Le disciple du Christ face au mal

Il existe une diversité d’interprétations… même autour de la précision du texte : le champ en question, nous précise l’Évangile, « c’est le monde » (13,38). Parmi les commentateurs de cette parabole, les réformateurs magistériaux ont d’abord appliqué la parabole à l’Église, nécessairement corpus mixtum. Quant à l’interprétation des « anges » destinés à faire le tri et à bruler l’ivraie, leur référence était certes au jugement dernier introduit par la venue du Seigneur, mais cette patience était entachée par leur éthique sociale. En effet, lorsqu’ils incitaient le magistrat, les princes, par peur de contagion, à sévir par le glaive ou le feu lorsque la loi de Dieu ou l’exercice de la vraie religion étaient en jeu1
, cette patience prenait un terme avant la « moisson ». À croire que les autorités terrestres avaient, comme les « anges » de la parabole, mandat d’anticiper le tri final ou du moins de contraindre à la bonne morale et au bon culte. Là se trouve au sein des familles de la réformation une différence majeure de l’interprétation de la parabole, du mandat du magistrat.

Deux temps sont pourtant nettement distingués dans la parabole : « laisser croitre ensemble » et « ramasser/récolter l’ivraie ». Les deux temps sont clairement distincts et il s’agit ni de confondre les missions spécifiques des serviteurs et des anges ni de se tromper de mandat s’agissant des disciples.

Les mesures préconisées ailleurs par Jésus contre les faux prophètes relèvent de l’évitement, pas des mesures coercitives, et comme dans la parabole ce sont les « fruits » qui permettent de les discerner (par ex. Mt 7,15-20). « Gardez-vous des faux prophètes ; ils viennent à vous en vêtement de brebis, mais au-dedans ce sont des loups ravisseurs. Vous les reconnaitrez à leurs fruits ». C’est donc que les disciples ne sont pas invités à attendre la « fin de l’ère » sans rien faire, mais à discerner dans le comportement moral, la fidélité à Jésus. Les propos des prétendus porte-paroles de Dieu en font partie (on se rappelle les accents des épitres de Jean par exemple), et même si ces « porte-paroles de Dieu » ont l’air inspiré. C’est sur ces critères qu’il s’agira ou non de les éviter ou de les suivre. Il appartient à la communauté chrétienne d’opérer ce discernement dans le temps.

L’ennemi du fils de l’homme a semé l’ivraie, c’est lui qui est l’origine du mal. Cette mise en scène rappelle le récit de la création de Dieu et l’irruption du serpent qui ne peut que tordre la bonne création divine et la pervertir. L’hostilité subie par les disciples, intérieure par les tentations et extérieure par les humains, n’a pas, elle non plus, Dieu pour auteur, mais l’ennemi à l’œuvre. Le bon fruit, c’est celui que Jésus par sa présence, ses paroles et actes et son Esprit, met dans la vie d’hommes et de femmes. C’est son œuvre d’engendrement, de régénération (cf. 1 P 1,23). Ainsi, les bonnes semences sont les « fils du royaume », l’ivraie ce sont les « fils du malin » ou du diable. Un engendrement du diable est aussi évoqué dans une parole de Jésus adressée à des pharisiens qui voulaient faire tuer Jésus : « vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement » (cf. Jean 8,44). Si l’ivraie est décelable dans le fait – comme certains pharisiens à l’époque de Jésus – de chercher à tuer des opposants au nom d’une certaine compréhension de la gloire de Dieu ou de la pureté de doctrine ou de la rivalité ou d’intérêts financiers, on a un éclairage sur ce que l’acte d’arracher pouvait signifier. Les serviteurs du diable aussi peuvent se déguiser en serviteurs de la justice – la leur ! – même divine.

Nous sommes appelés à ne pas chercher à éradiquer les méchants, sous quelque forme qu’ils soient pour les raisons invoquées. Pourtant nous sommes appelés à résister au mal et à le dénoncer, à faire œuvre d’éducation, d’annonce de la loi éternelle de Dieu, de pratiquer une justice restauratrice. Le discours de Jésus a, selon notre lecture, trait à la manière de cette résistance. Le pharisaïsme meurtrier, comme la tentation zélote (avec les armes des sicaires contre « le mal »), comme le retrait du monde (la communauté de Qumran le vivra un temps) sont autant de démarches exclues par cette parabole qui promeut le « croitre ensemble ».

Les temps de la moisson comme les Jour de l’Éternel ?

L’une des difficultés de l’interprétation est en lien avec la compréhension du « temps de la moisson » auquel se réfère la parabole. Ce temps a-t-il un accomplissement unique ? En effet, s’il s’agit d’un « jour de l’Éternel » intra-historique, comme entre autres le fut la prise de Jérusalem par les troupes juives zélotes rivales puis par les troupes romaines en 70 après Jésus-Christ. L’interprétation sera différente si elle ne représente que la parousie finale préludant le jugement dernier. Dans le premier cas, les « anges » envoyés par le « fils de l’homme » sont des entités politiques2
et non des anges purement angéliques. Mais même dans le cas d’entités politiques, il ne s’agit pas de l’action des disciples du Christ et encore moins d’actions qui seraient à légitimer moralement par ces derniers. Ils relèvent de la seule souveraineté divine qui peut appeler à cette tâche qui il veut (les Assyriens – cf. Es 6,26ss, Cyrus le Perse, – cf. 2 Chr 36,22-23 – Titus, etc.). Cette approche permet de concevoir une parousie de Jésus-Christ en gloire aussi de manière intra-historique, envoyant les « anges… du fils de l’homme » faire le tri et « bruler » l’ivraie.

Une lecture intra-historique n’exclut pas, à notre sens, une parousie ultime et corporelle du Christ. Le Christ appliquera à sa parousie un jugement « sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde » (Jc 2,13). Dans l’épitre de Jacques, le « scandale et les actes d’iniquités » sont présentés ; on peut se demander si les « riches » qui capitalisaient « dans les derniers jours » et dont parle l’épitre ne seraient pas à l’esprit de l’auteur de notre parabole… Une génération de profiteurs, accumulant les biens de ce monde et qui font peu de cas du sort des pauvres qu’ils exploitaient au contraire en accaparant leurs terres (cf. Jc 2,6 et 5,3). L’ivraie de la parabole représente bien des personnes qui sont des « occasions de chutes » pour d’autres et donc qui agissent mal envers Dieu et le prochain. Le remède préconisé par le Christ n’est pas le recours à l’insurrection et à la révolution violente, mais à l’annonce de l’évangile du Royaume de Dieu incluant l’appel à la repentance.

Autres exemples d’impatience

Nous avons évoqué l’attitude des pharisiens, des « riches » de l’épitre de Jacques, mais les évangiles font aussi état de l’impatience des disciples du temps de Jésus. Ces derniers, comme du reste les chrétiens en général, sont prompts à la condamnation. Agir ainsi donne l’illusion de nous croire du bon côté de la barrière, d’être enfin débarrassés du problème, d’être les justiciers du monde. Nous pensons que le mélange est intolérable… au nom de la haine même du mal. L’indignation doit être travaillée. Comme l’a souligné Paul Tournier, « le grand drame du mal, c’est qu’il se glisse jusque dans nos vertus. Et c’est souvent la peur d’être mal jugés et non l’amour qui nous rend vertueux ». Des exemples, s’il en faut, on en trouve dans la Bible et dans les actualités récentes. Dans la Bible on pensera à l’épisode du passage de disciples dans les villages des Samaritains. Nous savons que les Samaritains n’aimaient pas les juifs et vice-versa… Jésus avait interdit à ses propres disciples de vouloir précipiter le jugement divin par le feu, car les Samaritains n’accueillaient pas leur maitre (Luc 9,51-56). Ces derniers n’auraient pourtant eu, pensons-nous souvent, que ce qu’ils méritent ! On comprendra que le mode de conquête du Seigneur, dans tout le temps de Sa patience, est l’annonce de l’Évangile, une vie aimante de tous et l’appel à la foi. Chaque fois que nous devançons le Seigneur, pensant que le mélange est intolérable d’une part et qu’il faut écarter, ou plus subtil, faire écarter d’autres personnes, nous passons à côté de notre mission de disciples du Christ. Nous n’en avons pas l’autorisation du Seigneur. Même dans le cas de l’application dans l’Église, ce n’est qu’après avoir ôté la poutre de nos propres yeux que nous avons une chance de voir la paille dans l’œil du frère pour l’ôter (Mt 7,5). C’est dire la difficulté – mais pas l’impossibilité – de bien agir en matière de discipline ecclésiastique.

Lorsque nous jugeons sous le coup de l’indignation, nous pouvons facilement nous tromper ! Souvenons-nous par exemple des pratiques d’épuration en France après la Deuxième Guerre mondiale. Que de bavures, de réels motifs cachés, que d’injustices et de victimes parfois innocentes salies, de grosses pointures du système du mal qui ont passé entre les mailles du filet, aussi du côté des « vainqueurs »… On nous explique ces temps également, à quel point – par exemple – nous avons été manipulés – par les informations tronquées qui se sont révélées fausses par la suite et qui étaient destinées à provoquer exactement le même réflexe interventionniste que chez les disciples, à trouver l’approbation par rapport à des interventions militaires. Ainsi des tyrans, un temps soutenus et armés par des nations, sont du jour au lendemain mis au pilori des médias à cause de prétendues armes nucléaires ou chimiques ou de viols massifs… Pour s’autoriser des interventions armées, jamais bien entendu retenues comme crimes de guerre par la suite, des nations ont trompé l’opinion de leurs propres citoyens pour « éradiquer le mal » ou « faire la guerre à la terreur ». La confusion dont nous parlions plus haut de celui qui « sème la nuit pendant que les disciples dormaient » continue à agir ! Quelques années après, des reportages dignes de foi, eux, lèvent le voile sur la supercherie, mais le mal est fait. Des vies nombreuses à l’étranger et dans les troupes ont été sacrifiées sur l’autel de l’impatience créée de toutes pièces par les idéologues au service d’intérêts particuliers, qui disent rarement leur nom (« séduction des richesses » disait la parabole du semeur en Mt 13,22).

Le mal se trouve à l’échelle individuelle, comme à l’échelle sociale. Les commandements contre le vol, le mensonge à charge, l’orgueil et la convoitise doivent aussi être appliqués à de grands groupes appelés nations ou multinationales ! Pour le Seigneur, dans le temps de sa patience, justice et amour concordent, ce qui est si rarement le cas dans nos jugements. « Le fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver » (Luc 9,56). L’éthique de la patience des disciples doit aussi prolonger la mission du fils de l’homme.

Le recours à la guerre ne crée que si rarement la paix ou les conditions nécessaires à celle-ci… « Seigneur faut-il arracher l’ivraie ? » Des questions concrètes épineuses se posent : comment avons-nous à lutter contre le mal réel ? Comment intervenir dans des situations de crise ? Pour ne pas rester naïf ou crédule, il s’agit déjà de croiser les informations qui nous parviennent… Et comme beaucoup reste néanmoins caché, il s’agit d’être le plus restauratif possible dans les relations et de se distancier des va-t-en-guerre et de la mentalité de ceux qui veulent vouer rapidement les méchants « au feu ». Le Seigneur n’est pas indifférent au mal pour autant.

Zizanie dans les interprétations protestantes

Les interprétations de la parabole étaient diverses et les leçons à en tirer n’étaient pas unanimes, entre les réformateurs magistériaux
3
et les réformateurs anabaptistes et spiritualistes. Les magistériaux, comme Luther et Calvin, disaient pourtant très clairement qu’il ne fallait pas réprimer des personnes en matière de foi ; ils reprochaient aux partisans de l’ancienne foi une telle attitude. Ils voulaient certes combattre l’ivraie par la seule Parole de Dieu, mais ont incité les puissants, quand ils le pouvaient, à agir par le glaive. Cela équivaut à un double discours, dérogeant à leur tour à leur propre principe. De cette parabole ils ont de ce fait d’abord dégagé une leçon par rapport à l’Église et non par rapport à la société ou au monde. Ce faisant ils prolongeront l’interprétation anti donatiste d’Augustin.

Calvin quant à lui, selon l’analyse du théologien suisse Pierre Bühler, oscillera entre la nécessité d’une « discipline ecclésiastique sévère » et la « mixité constitutive de l’Église »4
. « Globalement, dira Pierre Bühler, on peut donc parler d’un plaidoyer en faveur d’une certaine indétermination de l’Église, par rapport à des surdéterminations comme celle à laquelle tend Thomas Müntzer, entre autres. »5
Müntzer fut l’un des idéologues importants du soulèvement paysan de 1524-25 et avait considéré l’époque qu’il vivait comme la « moisson » qui permettait au peuple de séparer le blé de l’ivraie, d’abord par l’appel à la repentance puis par le soulèvement armé. La question centrale de la parabole est celle du rapport des disciples du Christ à la violence ou à la contrainte de corps. Thomas Müntzer avait été lui aussi qualifié d’anabaptiste, alors qu’il pratiquait le baptême des nourrissons.
À sa suite, l’anabaptiste Hans Hut a lui aussi voulu envisager de coopérer avec les anges une fois que le Christ sera revenu en 1533. Pour cet enseignement Hut a été mis en garde par les autres enseignants anabaptistes de son temps. D’autres, dont les Frères suisses, les Marpeckites ont tenu dès les débuts à faire usage de la seule parole de Dieu pour vaincre le mal et faire avancer la cause de l’Évangile. Il est à remarquer qu’à la fois les réformateurs magistériaux et les réformateurs radicaux ont cru pouvoir identifier l’ivraie à l’œuvre de l’antichrist. Ils auraient été d’accord avec la phrase de Calvin tirée de la préface de son Institution de la Religion Chrétienne

adressée à François 1er  : « il (le diable) s’efforce par violence et mains des hommes, d’arracher ceste vraye semence : et d’autant qu’il est en luy, il tasche par son yvroye de la supplanter, afin de l’empescher de croistre et rendre son fruit » (1535). À n’en pas douter Calvin pensait vraiment lutter contre l’ivraie par la pure doctrine seule. Mais il avait été précédé quatre années auparavant (1531) par le réformateur Zwingli qui avait lui aussi adressé son « Exposé de la pure doctrine »
6
au « très saint Roi très chrétien » François 1er. Zwingli le mettait en garde tant contre les exactions des « papistes » que contre l’ivraie des « catabaptistes »
7
, l’incitant d’une part à ne pas écouter tous ceux qui attribuent à Zwingli leur sédition. Zwingli l’avertit ensuite qu’il fallait remédier contre les « catabaptistes », sinon « il en résulterait un tel désordre de toutes choses dans l’ensemble de ton royaume qu’il serait difficile d’y porter remède. »
8
De là à voir dans la confession de Zwingli une incitation à se servir de l’épée et du feu, il n’y a qu’un pas que le « Roi très chrétien » franchira par des buchers dans son royaume, entre 1533 et 1535. Il se justifiera du reste auprès de la Ligue (protestante) de Smalkalde en leur disant qu’il n’avait que remédié contre les « catabaptistes »… La confession de foi de Zwingli se situe six ans après la rupture violente avec les anabaptistes zurichois
9
. C’est dire que le contentieux entre ces deux types de réformation était profond et que l’impact de ces lectures différentes de la parabole sur le royaume de France et la diffusion des idées réformatrices radicales, était tragique dans ces années charnières.

L’ Institution de Calvin (1535) est également en lien avec les évènements qui se déroulent à Paris entre 1533 et 1535. Alors qu’en 1532 François 1er était encore relativement ouvert à une réformation de l’Église, en janvier 1535 il mène une « procession expiatoire » contre l’offense faite par des « évangéliques » dans l’affaire des Placards. François 1er cherchera par la suite à justifier ses actions répressives des dissidents français entre 1533 et 1535 face à des Suisses et Allemands de la ligue de Smalkalde qui lui demandent des comptes par rapport à la vague de répression. Il expliquera, via ses ambassadeurs Guillaume et Jean du Bellay, avoir voulu « châtier quelques anabaptistes en révolte contre son autorité, et des coupables dont les crimes méritaient le dernier supplice. »10

Calvin emboitera le pas à la démarche de Zwingli, comme le montre sa préface de l’Institution de la religion chrétienne . Les deux grands et premiers représentants du courant appelé plus tard « réformé » ont fortement cherché à se démarquer de ce qui pouvait le plus effrayer un monarque de droit divin, soit la remise en question de l’ordre établi. Cette volonté apologétique éclaire la pensée et les actions tant de Zwingli que de Calvin. Il y a bien eu chez Luther comme chez d’autres réformateurs tel Calvin, une évolution allant dans le sens d’un durcissement des mesures de répression, c’est à dire légitimant le recours de moyens de contrainte des consciences ou des corps11
.

Pour « la seule gloire de Dieu », il est arrivé à des réformateurs aussi brillants que Calvin, de cautionner, d’encourager les extraditions, de renseigner même l’inquisition et à de rares occasions aussi de pousser le magistrat à mettre à mort pour des raisons religieuses. Je pense ici à l’exécution à Genève de l’hérétique Michel Servet (1511-1553). Ayant trouvé refuge à Genève, l’accusation se portait sur des sujets en rapport avec la première table de la loi : l’antitrinitarisme, sa doctrine de la régénération et du baptême des croyants professants.

Mais, en recourant au pouvoir des Princes, des rois ou des magistrats urbains, les réformateurs magistériaux auront, selon une lecture anabaptiste, rejoint les rangs de ceux qu’ils dénonçaient, c’est-à-dire les forces antichristiques à l’œuvre au cours des siècles. Vieux et profond contentieux entre familles héritières des premières heures de la Réformation. De récentes demandes de pardon ont ici et là grandement contribué aux réconciliations entre familles héritières de la réformation.

Faire punir les personnes perçues comme « hérétiques », sous le couvert du péché de « blasphème », c’est ouvrir la boite de pandore. C’est là une différence majeure entre deux sortes de réformations. L’enjeu est le rapport entre le recours au glaive et la conduite des disciples du Christ qui n’usent que de la force de la Parole par l’Esprit, laissant le jugement au Seigneur et à ses anges. Si de nos jours la non-contrainte en matière religieuse semble partagée en Occident, elle reste fragile, aussi parmi les tenants d’une réformation biblique. Le sujet mérite d’être pensé théologiquement, car il met en évidence des différences herméneutiques dans le rapport entre les deux testaments et la compréhension de la mission de l’Église.

II. PILGRAM MARPECK (1495-1556) ET LA PARABOLE DE L’IVRAIE12

Voici un commentaire de la parabole du bon grain et de l’ivraie issu des premières décennies de la réformation. Il est tiré du traité « Dévoilement de la prostituée babylonienne et des antichrists… »13
L’anabaptiste Pilgram Marpeck14
en est de toute vraisemblance l’auteur, selon plusieurs recherches relativement récentes de Walter Klaassen et de Neal Blough15
. La date de rédaction se situe autour des années 1531-1532 en réaction à la mise en place de la Ligue de Smalkalde, donc d’une coalition armée protestante qui cherchera à protester contre l’empereur germanique et à défendre sa compréhension de la vérité.

« Laisser croitre ensemble… jusqu’au temps de la moisson ! » Une voix anabaptiste16
explique que cette parabole relève tant de l’éthique sociale chrétienne que de la discipline d’Église.

Voici le document :

S’il arrive comme précédemment qu’un nouvel antichrist naisse ou soit fabriqué, j’espère que le Seigneur va nous en délivrer
17
pour sa propre cause et pour que les siens ne deviennent pas victimes des truies qui ravagent le vignoble de Dieu (Psaume 79 et 80)18
, mais que les brebis et les bergers des brebis soient préservés, qui plantent son vignoble sans le brouter19
et que le Christ demeure notre souverain berger maintenant et à jamais. Amen.

Enfin, et en conclusion, à tous ceux qui voudraient mélanger le royaume du Christ et le pouvoir temporel et qui distinguent le bien et le mal et veulent le déraciner20
autrement que par la Parole et l’Esprit de Dieu, je voudrais répondre par le décret21
de la parabole du Christ qui se trouve en Matthieu 13 (24-30).

Il en va du Royaume des cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu ; par dessus, il a semé de l’ivraie en plein milieu du blé et il s’en est allé. Quand l’herbe eut poussé et produit l’épi, lors apparut aussi l’ivraie. Les serviteurs du Maitre de maison virent lui dire : « Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ? » Il leur dit ; « C’est un ennemi qui a fait cela ». Les serviteurs lui disent : « Alors veux-tu que nous allions la ramasser ou la déraciner ? »22
« Non, dit-il, de peur qu’en ramassant l’ivraie vous ne déraciniez le blé avec elle. Laissez l’un et l’autre croitre ensemble jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes pour les bruler ; quant au blé, recueillez-le23
dans mon grenier. »

Alors les disciples lui ont demandé la signification de la parabole. Que les contradicteurs écoutent et jugent eux-mêmes si le Christ a donné aux siens le glaive du pouvoir temporel24
ou l’ordre de ramasser l’ivraie avant la fin du monde. Jésus répondit en disant à ses disciples :

Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; l’ivraie, ce sont les sujets du Malin ; l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde, les moissonneurs, ce sont les anges. De même que l’on ramasse l’ivraie pour la bruler au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde ; le Fils de l’homme enverra ses anges ; ils ramasseront, pour le mettre hors de son Royaume, toutes les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise de feu ; là seront les pleurs et les grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. Entende qui a des oreilles !

Nos contradicteurs doivent bien le noter ; dans ce temps le Seigneur Christ est un Sauveur25
et non pas quelqu’un qui ruine26
. Tous les hommes peuvent être sauvés27
jusqu’au temps déterminé du jugement dernier28
, où il n’y aura plus de possibilité de repentance. Jésus commande à ses serviteurs et aux hommes de juger les affaires extérieures et du moment, et non pas les affaires futures et intérieures (notes, les croyances). Autrement la grâce de Dieu serait raccourcie et le blé déjà arraché. Sinon pourquoi le Christ aurait-il raconté cette parabole ? Aussi longtemps que l’homme est dans cette vie corporelle29
, et aussi mauvais soit-il, il peut être converti à l’amélioration par la grâce du Christ et par le témoignage de patience et l’amour des siens. Car il y a douze heures dans la journée, comme le Christ lui-même le dit (Jn 11,9). S’il avait était arraché, il est certain que cela ne pouvait se produire. Ainsi, le Christ doux et humble a commandé aux siens d’apprendre de lui (Jn 13 v. 36 [?] et Mt 11,29) et de donner tout son temps à l’homme et d’attendre fidèlement. Par cette parabole il ordonne aux siens d’attendre et ne commande à personne de juger ou de condamner par l’épée. Presque tout le chapitre 5 de l’évangile selon Matthieu nous dit de ne contraindre30
personne ni de dominer31
, mais plutôt de se laisser contraindre32
et se laisser dominer33
, et présenter ces doctrines en toute patience. Ceux qui font autrement sont du monde et non du Christ, infidèles et non fidèles. Ceux qui prennent l’épée pour se battre doivent être jugés par l’épée, comme le décrit Jean au chapitre 13 de l’Apocalypse (v. 10) et également Mt 1634
.

Le temps de la « patience » est pour ce type d’anabaptiste communautaire et pacifique un temps de la patience divine, mais également de la patience des disciples du Christ. Comme leur maitre, ces derniers laissent ouvert un temps où, grâce à la proclamation de l’Évangile, une repentance est encore envisageable, car les protagonistes peuvent, avant le temps de la moisson, se rendre à l’évidence de leurs mauvais comportements et de l’origine de leur égarement et changer de vie…

Les réformateurs magistériaux, de leur côté, s’appuient directement ou indirectement sur le pouvoir pour promouvoir leurs réformes, et restent de ce fait encore prisonniers des concepts de chrétienté. Une
ecclésiologie de type anabaptiste n’imagine pas devoir promouvoir dans la société une répression en matière religieuse – précisément à cause de l’eschatologie qui la motive : le jugement appartient au Seigneur. Elle agira par l’annonce de la Parole et maintiendra la nécessité d’une discipline fraternelle et aimante dans l’Église (Mt 18). Elle sera perçue comme séparatiste, mais du coup sera aussi vue comme plus missionnaire ou prophétique par rapport à la société. Sa tentation sera le repli du monde, ce qui n’est qu’un autre moyen de penser – à tort ! – faire le tri avant la moisson. Ces ecclésiologies au fond différentes se manifestent encore de nos jours, parmi les partisans du sola scriptura , bien que les évolutions de la société moderne occidentale vers une société sécularisée et pluraliste rendent les enjeux concrets moins prégnants.

L’anabaptiste Balthasar Hubmaïer avait rédigé, dès 1524, un traité s’élevant contre la répression des hérétiques, et fonda son raisonnement par des raisons bibliques parmi lesquelles l’œuvre de Jésus-Christ et la parabole de l’ivraie
35
. J’ai été frappé, en relisant les échanges plus tardifs de Jean Calvin et de Sébastien Castellion combien la parabole du bon grain et de l’ivraie revenait souvent dans leurs propos, après la mise à mort de Michel Servet à Genève, ce qui met aussi en lumière leurs interprétations divergentes. Sébastien Castellion (1515-1563) était devenu lui aussi pour diverses raisons, persona non grata à Genève36
. Castellion reprendra et développera vingt années après Marpeck, en 1554, ce que des anabaptistes et d’autres avaient soutenu. En matière de respect des consciences et des convictions, nous sommes en dette envers la réforme radicale, pour des raisons bibliques, et bien avant les Lumières humanistes.

L’anabaptisme n’est pas un épiphénomène sans incidence dans l’histoire de la Réforme surtout si on considère qu’aujourd’hui il a une large progéniture spirituelle parmi le christianisme évangélique mondial. Les professants hésitent pourtant souvent à se réclamer, par méconnaissance, de certaines figures anabaptistes des débuts de la réformation, privilégiant « les grands réformateurs ». La pensée de la « réformation radicale » pour reprendre une formule de l’historien Richard Stauffer, l’anabaptisme, reste pourtant, sous ses aspects importants, encore largement ignoré.

Il s’agit bien dans cette parabole de trouver des moyens fidèles au Christ et aux apôtres pour résister aux hérétiques et aux impies, mais sans les « arracher », c’est-à-dire sans « forcer les consciences », « laissant leur punition par Dieu, au moment qu’il aura choisi, et non par les hommes. »37
Cela concerne alors aussi le péché de « blasphème » que Calvin a inclus dans son troisième usage de la loi. Castellion lui, dira avec une grande lucidité, en rapport avec la parabole : « Nous apprenons par ce texte comment il nous faut gouverner envers les hérétiques et faux docteurs, c’est de ne les extirper, et ne les mettre pas à mort : car Christ le démontre ici évidemment, quand il dit : ‘Laissez croitre l’un et l’autre’. Il faut procéder à l’encontre d’eux par la seule parole de Dieu. »38
« On peut voir ici à quel point nous avons mal agi, nous qui avons voulu conduire les Turcs à la foi par la guerre, les hérétiques par le feu, les Juifs en les menaçant de mort, ou par d’autres injustices. Nous qui avons voulu arracher l’ivraie par nos propres forces, comme si nous avions le pouvoir d’agir sur les cœurs et les esprits, comme si nous avions en main la puissance de conduire tous les hommes à la justice et à la piété. Ce que Dieu unique ne fait pas, cela n’est pas à faire… Nous les mettons à mort, leur interdisant de jamais changer. »39

Claude Baecher, enseignant et pasteur dans la FREE, Lausanne

  1. On lira le développement bien documenté sur l’attitude concrète de Calvin, dans François Dermange, L’éthique de Calvin , Labor et Fides, 2017, pp. 212-237.
  2. On se souviendra de la lecture des signes du Fils de l’homme dans les évangiles que fait Pierre Courthial, Le jour des petits recommencements. Essai sur l’actualité de la Parole (évangile-loi) de Dieu , Messages, L’âge d’Homme, Lausanne 1996, pp. 113.
  3. 6 Voir Pierre Bühler, « Le ble et l’ivraie. Réception de la parabole dans la periode de la Reforme  », dans Revue d’histoire et de philosophie religieuses , 85 (2005), pp. 89-101 (aussi paru dans : Cristianesimo nella storia , 26 (2005), pp. 265-278, sous le titre « La reception de la parabole du ble et de l’ivraie dans la periode de la Reforme »). Voir également Roland Bainton, « The Parable of the Tares as the Proof Text for Religious Liberty to the end of the 16th century », Church History 1, 1932, pp. 67-89.
  4. Pierre Bühler, op. cit., p. 93.

  5. Pierre Bühler, op. cit., p. 100. A l’analyse de Pierre Bühler sur l’interprétation de cette parabole au XVIe siècle, il manque la prise en compte du rôle du magistrat en rapport avec la répression de l’hérésie.

  6. On lira la traduction française faite d’après le texte latin de 1531 parue dans Etudes théologiques et religieuses. Textes réformateurs inédits. Textes réunis et édités par Chrystel Bernat, tome 92, 2017/1, spécialement pp. 192-196.
  7. Litt. contre le baptême – entendre celui des nourrissons.
  8. Ibid., p. 195.
  9. Et trois ans avant la venue éphémère au pouvoir d’anabaptistes illuminés à Münster en Westphalie (1534-35).
  10. cf. l’introduction à l’Institution de la Religion Chrétienne , Paris, 1859, p. ix.
  11. Nous nous référons entre autre au travail des historiens des entretiens luthéro-mennonites, auxquels nous avons eu le privilège de participer. Voir Guérir les mémoires : se réconcilier en Christ. Rapport de la Commission internationale d’études Luthéro-Mennonite (Fédération luthérienne mondiale et Conférence mennonite mondiale), 2010. Y figure, en langue française, le traité de 1536 incitant les princes chrétiens à punir physiquement et par l’épée les anabaptistes, et signé par Martin Luther et Philippe Melanchthon, etc. ; en « annexe A » du volume cité, pp. 113-118.
  12. Extrait traduit en langue française par Neal Blough et Claude Baecher à partir d’une reproduction du traité parue dans Mennonite Quarterly Review janvier 1958, vol. xxxii, par Hans J. Hillerbrand, « An early anabaptist Treatise on the Christian and the State », pp. 45ss.
  13. Le titre complet de ce traité : « Mise à nu de la prostituée babylonienne et des antichrists, les vieux et nouveaux mystères et abominations mis en lumière. Aussi de la victoire, de la paix et de la souveraineté des chrétiens authentiques, de leur manière d’obéir aux autorités, de porter la croix sans sédition et sans réplique avec le Christ en toute patience et amour, pour la louange de Dieu et le service, le renforcement et l’amélioration de toutes les personnes pieuses, cherchant Dieu ».
  14. Pour sa pensée, cf. Neal Blough, Christologie anabaptiste. Pilgram Marpeck et l’humanité du Christ , coll. Histoire et société, 4, Labor et Fides, Genève, 1984, 280 p.
  15. On lira l’article de Neal Blough au sujet du traité l’ Aufdekung (« La mise à nu de la prostituée babylonienne »), dans Eschatologie et vie quotidienne (sous dir. Neal Blough), Excelsis, collection Perspectives Anabaptistes, 2001, « Eschatologie, christologie et éthique : la fin justifie les moyens », pp. 13-37.

  16. Voir plus généralement sur l’anabaptisme George Huntston Williams, 3



    e



    édition, vol. XV de Sixteenth Century Essays & Studies, The Radical Reformation, 1992 .


  17. fürkommen = dans le sens d’en prendre soin, nous en délivrer cf. Ps 29,9

  18. La métaphore est celle de la vigne, symbole du peuple de Dieu, qu’il convient de soigner pour qu’elle porte du bon fruit. Pour la relation de la vigne du Seigneur et l’antichrist, dont il est aussi fait allusion chez Marpeck, voir la littérature wycliffite ou hussite du début à la fin du XVe

    siècle, etc. (cf. Mernard Mc Ginn, Anti-Christ. Two thousand years of the human fascination with evil, SanFrancisco, Harper,1994, p. 184-187). Les peintres Lucas Cranach le vieux et le jeune ont su s’inspirer de la différence de traitement de l’antichrist et des bons bergers dans la vigne, dans certaines de leurs œuvres au XVIe siècle.

  19. aberzen.
  20. mag aussreüten.
  21. Urteil.
  22. ausjetten oder aussreürren.
  23. sammelent.
  24. das schwerdt des leiblichen gewalts.
  25. ein säligmacher.
  26. ain verderber.
  27. erloesung.
  28. den gestrengen gerichts.
  29. leiblichem leben.
  30. zwingen.
  31. herschen.
  32. bezwingen.
  33. begwältigen lassen.
  34. sic. il s’agit de 26,52.
  35. Neal Blough , Les révoltés de l’Évangile. Balthasar Hubmaier et les origines de l’anabaptisme , Paris, Cerf, 2017, 318 p. Voir la traduction française livrée en annexe de son livre : son traité contenant 36 courtes thèses Concernant les hérétiques et ceux qui les brûlent (1524), pp. 255-261. Hubmaier est proche des thèses d’Erasme dans sa lecture de Matthieu 13 (ses thèses 8, 9, 11 et 13).
  36. Par exemple Sébastien Castellion, Contre le libelle de Calvin après la mort de Michel Servet , traduit du latin, présenté et annoté par Etienne Barilier, Editions Zoe, 1998, p. 91-92. Mettre à mort c’est interdire aux gens de jamais changer, dira-t-il… Ce livre fut écrit en 1554 l’année suivant la mise à mort de Servet (1553), mais immédiatement censuré, il ne paraîtra finalement qu’en… 1612.
  37. Castellion, Contre le libelle de Calvin , p. 98. Il plaidera aussi, comme une solution à la guerre des religions – de ne pas forcer les consciences, aussi de « différer le châtiment des hérétiques jusqu’à l’arrivée du Juge » (p. 98). Notons qu’il parle du châtiment, non pas du fait de confronter les idées, ni d’annoncer l’évangile.
  38. Sébastien Castellion, Traité des Hérétiques. A savoir, si on les doit persécuter, et comment on se doit conduire avec eux, selon l’avis, opinion, et sentence de plusieurs auteurs, tant anciens, que moderne s (traité de 1554), Genève 1913, p. 52, pp 136, 138s (réédité depuis aux Editions Ampelos, 2009).
  39. Castellion, Contre le libelle de Calvin, p. 91.